Frédéric Bihel: «Je suis fasciné par les mythes de créatures fantastiques»

Pour son premier scénario original, Frédéric Bihel raconte la quête d’un jeune homme parti à la recherche d’une créature mystérieuse aux allures de Neandertal. « A la recherche de l’homme sauvage » est un formidable récit d’aventure emprunt de nombreuses références à « Tintin au Tibet ».

Le point de départ d’« A la recherche de l’homme sauvage » a été un article puis un livre…
Frédéric Bihel.
Je suis tombé par hasard (?) sur la brève critique d’un ouvrage dans le « Monde des Livres ». Les références qu’ils contenait m’ont tout de suite accroché : le yéti, un explorateur, l’Asie centrale, et même le commandant Massoud. Je suis fasciné depuis longtemps par les mythes de créatures fantastiques vivant dans des endroits reculés ; j’ai réalisé le dessin d’une biographie en BD de Massoud avec Maryse et Jean-François Charles au scénario, il y une quinzaine d’années ; enfin, les récits d’exploration m’intéressent beaucoup (j’ai aussi fait le dessin d’une BD sur l’explorateur polaire Jean Malaurie).
Bref, voici ce qui m’a accroché en quelques secondes. Et j’ai acheté et lu ce livre. Mais il s’agissait d’un récit à la fois documentaire et littéraire sur un « chercheur de yétis », Jordi Magraner, qui ne permettait pas beaucoup de création. Il aurait fallu adapter ce livre en BD. Or, je ne voulais pas adapter, je voulais pouvoir laisser courir mon imagination…

Sur la suggestion de votre femme, vous avez choisi d’inventer votre propre histoire plutôt que de vous limiter à une approche documentaire. Qu’est-ce que cela vous a permis d’apporter au récit?
F.B. J’ai trouvé la liberté d’y ajouter d’autres ingrédients. La substance même du récit s’en est trouvée enrichie : des références littéraires, autobiographiques, des mythes, des légendes… J’ai pu y intégrer tout ce qui me permettait de m’approprier cette histoire et d’en faire quelque chose de personnel.


L’ombre d’Hergé plane tout au long de l’album. Est-ce un « Tintin » réaliste?
F.B.
L’ombre d’Hergé, oui, et d’autres ombres aussi. Ce que j’ai mis en scène, c’est mon rapport à Hergé et à d’autres artistes. Le personnage de Tintin m’a paru se manifester de façon très évidente dans cette histoire. Il était là dès le début. Sans doute à cause du yéti mais aussi à cause du caractère de mon personnage : un jeune homme au caractère un peu flottant mais déterminé, un chercheur d’absolu. C’est vraiment le Tintin de « Tintin au Tibet » qui m’a inspiré : celui qui se met en route inspiré par un rêve, voire un cauchemar. Et qui trouve sur son chemin, comme tout bon héros de mythe, des compagnons de routes, des auxiliaires, des amis.

On prend beaucoup de plaisir à découvrir les nombreuses références à l’œuvre d’Hergé. Est-ce que c’était tout aussi excitant pour vous?
F.B.
Bien sûr ! Mais je ne voulais pas que ça se limite à une quête d’easter eggs qui risquerait de sortir le lecteur du récit. Ces références sont de natures très variées : certains personnages sont des renvois à ceux d’Hergé mais sont aussi teintés d’autre éléments. André Capitaine par exemple, est en partie une référence évidente à Haddock mais aussi aux héros pilotes de Saint-Exupéry. Il a aussi quelque chose de mon père.


Est-ce qu’il y a un peu de vous dans ce personnage un peu rêveur d’Augustin, qui dessine en classe et relit plusieurs fois « Tintin au Tibet »?
F.B.
Oui, et ça s’est même affirmé au cours de l’écriture du scénario. Plusieurs aspects de l’enfance d’Augustin proviennent de ma propre enfance : le dessin bien sûr, il vit avec sa mère, le Muséum…

Votre dessin est en revanche très éloigné de la ligne claire avec des teintes sépias. Comment avez-vous abordé la partie graphique de cet album?
F.B.
Je voulais un certain lyrisme teinté d’étrangeté. Presque du réalisme magique. On ne sait pas toujours distinguer le rêve de la réalité dans cette histoire. Le début se passe dans un Paris de film en noir et blanc des année 40 (alors que le récit démarre en 1960) et la suite va de plus en plus ressembler à un récit fantastique (quand on arrive au Tchatril). Augustin part de Paris et met bel et bien les pieds sur un terre « magique » à la fin. Mes dessins tentent d’accompagner ce voyage. Mes références vont là des films de Marcel Carné aux photos de Roland et Sabrina Michaud sur les montagnes et les peuples d’Asie centrale. Je suis fasciné par ces photos qui sont presque un reportage au pays des légendes.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« A la recherche de l’homme sauvage » par Frédéric Bihel. Delcourt, 24,95 euros.

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