Fred Duval: « Jour J propose des scénarios plausibles »

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Et si le débarquement allié de juin 44 avait été un échec et que c’est l’Armée rouge qui avait libéré Paris. Le scénario est plausible et offre un univers particulièrement déroutant au deuxième tome de « Jour J ». Fred Duval, qui a coécrit cet album avec Jean-Pierre Pécau, revient sur la genèse de cette série.

Vous avez scénarisé cet album avec Jean-Pierre Pécau. Comment se repartit votre travail ?
Fred Duval. On commence par se rencontrer environ tous les mois pour trouver des idées exploitables et en discuter. On débute le travail sur le fond, les péripéties. Ensuite, on jette nos idées à travers une sorte de jeu de ping-pong par mail. Une fois d’accord sur la structure et le déroulement de l’histoire, Jean-Pierre écrit tous les dialogues page par page puis me fournit quelque chose qui ressemble à une pièce de théâtre. jourj.jpg J’approfondis pour trouver des lieux et proposer au dessinateur une mise en scène et un découpage. En pratique, c’est un peu compliqué que cela mais c’est un bon résumé.

Comment naissent les sujets de cette série ?
F.D. Quand on a commencé de parler de ce projet « Jour J », on a débuté par lister des sujets qui nous semblaient crédibles. Les Allemands qui gagnent la deuxième Guerre mondiale, ce n’était par exemple pas possible. C’est de la fantasy. On voulait proposer au lecteur des choses plausibles et ne pas centrer toutes les intrigues sur l’uchronie en elle-même. Le but, c’est de partir de ce « Jour J » où l’histoire a basculé mais pas forcément d’en faire le sujet principal. Ce qui nous intéresse dans ce tome 2, c’est de nous attarder au destin de certains personnages plongés dans cette uchronie.


Pour que cette uchronie soit plausible, il était donc important de s’appuyer sur un socle historique…
F.D.
Tout à fait. On a besoin de connaître notre sujet. On a aussi regroupé nos connaissances puisque nous avons tous les deux des formations en histoire. On utilise ces atouts-là et une documentation assez rigoureuse pour justement mieux s’en sortir. Cependant, on ne fait pas des livres historiques. Quand je fais « Hauteville House », je m’amuse avec de la fantasy. Mais le règne de Napoléon III, je l’ai quand même étudié sous toutes les coutures avant de me lancer.

Est-ce que réaliser cet album à l’univers très riche sur un seul tome a été une contrainte ?
F.D.
Il y a évidemment toujours une petite frustration à réduire un univers à 54 planches. Je dirais plutôt un défi. C’est vrai qu’avec un univers comme celui-là, on pourrait partir sur dix bouquins et en faire une série. Mais, des séries avec des univers forts que l’on développe sur de nombreux albums, on en a déjà fait tous les deux. Et c’est toujours un plaisir. » Jour J », c’était autre chose. On voulait faire des one-shot. Maintenant, pour les deux suivants qui paraîtront avant Noël, on est sur un dyptique. C’était impossible de mener l’histoire de la guerre de 14 sur seulement 54 pages. On a préféré faire deux fois 46 pages avec deux parties bien distinctes.

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Pourquoi avoir intégré des personnages connus comme le docteur Petiot ou Marguerite Duras ?
F.D.
C’est une des règles du genre. On n’invente rien. Dans le cas de cet album, c’est une manière de s’interroger sur les positions qu’auraient prises les gens qui avaient collaboré et ceux qui ont été résistants si les Russes avaient pris le contrôle de Paris.



En choisissant le docteur Petiot, cela déflore un peu le suspens de la partie polar…
F.D.
Ce n’est pas vraiment lui le coupable. En fait, le serial killer est une parabole du stalinisme et Beria représente bien tout ce que l’on peut penser de ce qu’a été ce régime. Personne n’est dupe. Et Petiot représente évidemment la collaboration. À partir du moment où l’on fait de la BD de genre, le genre n’est pas une fin en soi mais une manière de donner une espèce de coquille que l’on remplit avec des idées, des opinions.

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Dans cette série, c’est l’uchronie elle-même qui devient le personnage principal. Cela change quelque chose au niveau de l’écriture ?
F.D. Oui bien sur. Vu que l’on change de monde à chaque fois, cela oblige à davantage de concision avec les risques que cela comporte avec certains raccourcis ou certains personnages car on n’a pas la place pour les développer comme sur une série plus longue. Il y aussi des avantages qui sont de proposer quelque chose que les lecteurs peuvent lire avec un début et une fin. Évidemment, tous les épisodes ne plairont pas à tout le monde. Alors que dans une série classique, on juge plutôt l’histoire dans sa globalité.

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Le lecteur se trouve lui plongé dans un univers assez déstabilisant et doit prendre le temps de lire cet album pour bien l’assimiler. C’est quelque chose qui vous plaît aussi ?
F.D.
Je n’ai pas l’impression que mes autres bouquins sont différents. On me dit toujours que les « Carmen » ou les « Travis » sont des albums que l’on ne lit pas dans le bus ou avec du bruit. Il faut un minimum de concentration pour suivre car ce n’est pas de la narration linéaire avec un personnage qui cavale de la première à la dernière page. Il y a plusieurs points de vue. C’est notre manière de bosser à Jean-Pierre et moi.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

« JOUR J » (Tome 2. « Paris, secteur soviétique ») de Gaël Séjourné , Jean-Pierre Pécau et Fred Duval. Delcourt, collection Néopolis. 13,95 euros.

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