François Warzala: «Entretenir la mémoire de la Seconde guerre mondiale»
Dans «Les évasions perdues», le journaliste Thomas Legrand raconte l’histoire d’un aspirant officier déporté dans un camp-université destiné à former une «élite» pour la nouvelle Europe. Un parcours très largement inspiré de celui de son propre père. D’un trait semi-réaliste, le dessinateur François Warzala lui a donné vie dans ce témoignage précieux aux multiples rebondissements.
Quand Thomas Legrand vous a parlé de raconter la vie de son père dans un stalag durant la Seconde guerre mondiale, vous avez immédiatement été séduit par le projet?
François Warzala. Après notre collaboration sur l’histoire de la Ve République, nous avions envie de continuer à travailler ensemble. J’avais plutôt envie d’une fiction mais Thomas, qui avait déjà l’idée de raconter l’histoire de son père prisonnier pendant la Seconde guerre mondiale, m’a proposé de le faire en BD. Comme c’est une période qui m’intéresse et que j’aime bien quand un personnage se retrouve dans une situation hors norme, l’idée m’a plu et on s’y est mis.
Vous aviez déjà entendu parler de cette «université de la collaboration» mise en place par Vichy et par les Allemands en 1941?
F.W. Non, pas du tout, je n’en avais jamais entendu parler de ce type d’«université». À vrai dire, je ne savais pas grand chose des camps de prisonniers en dehors de ce qu’avaient pu m’en apprendre quelques films et de vagues anecdotes de mon grand-père.
Je ne sais pas si j’ai un rôle de passeur mais je me rends bien compte que la mémoire de cette guerre se perd peu à peu. »
Ce rôle de passeur auprès de nouvelles générations est important pour vous?
F.W. Je ne sais pas si j’ai un rôle de passeur mais je me rends bien compte que la mémoire de cette guerre se perd peu à peu, qu’elle signifie de moins en moins de choses pour les nouvelles générations alors que son ombre était très présente lorsque j’étais enfant : la plupart des adultes autour de moi l’avaient traversée. Et il est vrai qu’une mémoire, ça s’entretient. Alors, oui, ça peut servir d’aide-mémoire.
Vous aviez déjà travaillé avec Thomas Legrand sur « L’histoire de la Ve République ». C’était aussi la promesse d’une collaboration facile et fructueuse?
F.W. Nous avions déjà des routines de travail, c’est vrai, mais chaque nouveau projet apporte avec lui de nouveaux enjeux. Évidemment, on avait la méthode mais, s’agissant ici d’un récit, il y avait d’autres choses auxquelles il fallait porter attention, notamment le rythme. Thomas, avec sa rigueur de journaliste, apporte un éclairage historique et une réflexion, un angle dans la manière d’aborder le sujet. Moi, je me vois plus comme le metteur en scène de son histoire. Je lui apporte le tempo, la direction d’acteurs, la mise en page du récit tout autant que le dessin.
L’histoire de votre héros Jacques Leboy est très largement inspirée par celle de Marcel Legrand, le père de Thomas. Pourquoi ne pas avoir gardé son nom?
F.W. Thomas voulait raconter l’histoire de son père mais il avait aussi à cœur de donner une vue plus générale et une dimension sociale à l’histoire. Il s’est donc aussi inspiré de ses recherches et lectures pour enrichir son récit. De fait, il a préféré créer un alter-ego de son père plutôt que de reprendre son nom. De plus, comme son père n’était plus là, il ne pouvait plus faire valider son récit par l’intéressé (scrupules de journaliste, je suppose). On peut dire que 80% de l’histoire est arrivée à son père et que 20% a été ajoutée.
Une grande partie des « Évasions perdues » se déroule dans un stalag aux décors forcément sommaires. Ce n’est pas le cadre rêvé pour un dessinateur?
F.W. Oui et non. Un dessinateur est un peu comme un touriste dans ses pages, il crée l’ambiance autant qu’il s’y promène. Et là, ce n’était pas vraiment un camp de vacances. De plus, comme le décor peut prêter à la monotonie, il faut trouver des astuces de mise en scène et utiliser les personnages au maximum.
Quand on dessine une histoire inspirée de faits réels, on doit encore plus être pointilleux sur la véracité historique?
F.W. Internet est une mine d’or. On passe beaucoup de temps à chercher mais on y trouve des pépites. J’ai pu notamment trouver le plan du stalag 1A et j’ai donc tout fait en fonction de ce plan. En revanche, l’entrée n’est pas exactement l’originale car je ne suis tombé sur des photos qu’en fin de réalisation de l’album. Cela dit, c’est une entrée type de ce genre de camps. J’ai cherché à être le plus exact possible mais sans entrer dans les détails. Par exemple, les uniformes sont corrects mais les pattes de régiments et d’armes ne sont pas forcément dessinées. Malgré tout, l’ensemble des éléments (véhicules, objets, mobilier…) et des scènes sont vrais.
En préface, vous mentionnez votre grand-père Roger qui fut prisonnier de guerre de 1940 à 1942. Vous en parliez avec lui ? Ce livre était aussi une façon d’honorer sa mémoire?
F.W. Mon grand-père est mort quand j’étais enfant donc je n’ai pas vraiment pu en parler avec lui mais ma famille a conservé quelques bribes de son expérience de prisonnier et c’est toute cette guerre qui reste en toile de fond de nos générations. Alors, bien sûr, c’est une façon d’honorer sa mémoire mais pas seulement la sienne. C’est un héritage, partagé avec beaucoup.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
«Les évasions perdues» par François Warzala et Thomas Legrand. Rue de Sèvres. 22 euros.