François Armanet: « Une histoire ancrée dans la réalité »

Pour son premier scénario de bande dessinée, François Armanet, rédacteur en chef à l’Obs, s’empare avec « Le nouveau monde » de l’incroyable histoire d’un conquistador noir lors d’une expédition espagnole pour évangéliser les sauvages de l’Arizona et du Nouveau-Mexique. Sans s’éloigner de la réalité historique, il signe un récit au souffle épique et renoue avec l’esprit de la grande bande dessinée d’aventure.

nouveaumonde4.jpgQu’est-ce qui vous plait dans cette époque des Conquistadors ?
François Armanet. Déjà en général, j’aime bien l’histoire des Indiens américains. Ensuite, c’est une thématique moins fréquentée que d’autres, en tout cas dans les westerns. C’est une époque inouïe qui pose des questions encore d’actualité aujourd’hui. On ne mesure même pas le choc de civilisations lors de cette découverte d’un Nouveau Monde. Cela va aboutir à l’un des plus grands génocides de l’histoire de l’humanité. C’est un choc brutal. Les Indiens étaient par exemple marqués au fer rouge comme du bétail.



C’est un sujet que vous maitrisiez déjà ou que vous avez découvert en préparant le livre ?
F. A. 
J’ai un doctorat de sociologie et j’ai fait mal d’anthropologie : les livres de Lévi-Strauss, la collection Terre Humaine,… Un jour, j’ai lu les prémices de cette histoire avec quelques pages qui racontaient que le premier homme « blanc » qui découvrit les Indiens était un noir. Cela m’a tout de suite plu. C’est un retournement de la mythologie du western. Je suis même étonné que les Américains n’aient jamais réalisé un grand film sur le sujet. 



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Dès les premières pages, vous citez Cortés, l’empereur Moctezuma et Charles Quint. Vous aviez la volonté d’ancrer le plus fidèlement possible votre fiction dans la réalité historique ?
F. A. C’est un moment tellement fort et cinématographique. Il faut s’ancrer dans cette réalité. Le personnage d’Esteban, conquistador noir, a existé. Tout comme le frère Marcos De Niza ou le vice-roi d’Espagne Mendoza. La base historique est bien réelle. C’est un plus formidable pour un roman d’aventure. Il n’y a qu’à se référer à Alexandre Dumas pour en comprendre tout le sel. 



L’expédition est également bien réelle…
F. A. 
Il y a eu une première expédition vers les États-Unis actuels en 1527. Quatre-cents hommes sont partis dans trois caravelles depuis la côte du golfe du Mexique. Le grand conquistador Cabeza de Vaca se trouvait parmi eux. Huit ans plus tard, il ne restait que quatre survivants, dont Esteban. Il était parti plus ou moins comme un esclave noir et a été évidemment libéré. Il s’est aussi lié d’amitié avec les autres durant ce long périple. On l’apprend dans la « Relation de voyage » de Cabeza. Elle est d’ailleurs assez formidable. Je suis ensuite tombé sur un texte qui parlait des premières expéditions sur voies de terre vers l’Arizona et le Nouveau-Mexique. Esteban était encore présent. Cette expédition était organisée par ce frère franciscain Marcos De Niza. Leur mission était de découvrir les sept cités de Cibola ou l’Eldorado. Pour la bande dessinée, j’ai ajouté la fille de l’empereur Moctezuma. 



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Beaucoup d’œuvres qui traitent de cette période intègrent une part de fantastique. Vous aviez envie de renouer avec la bande dessinée d’aventure ?
F. A. Depuis pas mal d’années, la tendance est au roman graphique. Il y a des réussites incontestables dans ce domaine mais j’en ai un peu marre. J’aime la BD classique où l’on raconte des histoires comme dans Blueberry, Black et Mortimer, Jerry Spring… J’ai été nourri par ces bandes dessinées et j’avais envie d’un album réaliste avec un rebond dans la dernière case à quasiment chaque page. Je trouve cela plaisant d’essayer de raconter une histoire et un peu à contre-courant des succès de la BD actuelle.



Xavier Coyère parvient parfaitement à retranscrire ce souffle, ce dynamisme dans ses planches…
F. A. Dargaud a fait faire plusieurs essais avec plusieurs dessinateurs. C’était assez étrange pour moi de découvrir leurs crayonnés. Quand vous écrivez quelque chose, vous n’avez pas le portrait-robot de vos personnages en tête mais plutôt une vision de leurs âmes. À un moment, quelqu’un va leur dessiner un visage. Xavier Coyère a réussi à leur donner chair avec l’âme que j’avais en tête. Il s’est saisi des personnages et les a fait exister autrement que par le scénario.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)



« Le nouveau monde, tome 1. L’épée du conquistador » de François Darmanet, Xavier Coyère, Jean Helpert. Dargaud. 13,99 euros.

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