Erroc: « Ça ne doit pas être loin de la vérité »

Sur KFM TV, on est obsédé par le scoop. Coûte que coûte ! Avec sa nouvelle série « Lucile & l’info », Erroc s’amuse de la course à l’audience des chaines d’information en continu et moque leur absence de déontologie. Ces gags sonnent juste et sont parfaitement mis en valeur par le dessin d’Arnaud Poitevin.

Vous avez scénarisé plus d’une vingtaine d’albums des « Profs ». Est-ce plus simple de trouver des gags quand on débute une nouvelle série?
Erroc.
Quand on commence une série, on a tout à construire et c’est ça qui est excitant. Donc oui, c’est plus facile de trouver des gags au début, les idées s’enchainent, on invente de nouveaux personnages, de nouveaux lieux…

Est-ce qu’on réfléchit déjà à la suite en gardant peut-être quelques idées sous le coude?
E.
Non, je ne garde pas d’idées sous le coude parce que d’expérience je sais que ça ne sert à rien et que je ne m’en servirai pas. J’aime bien repartir à zéro à chaque tome. Je ne sais pas ce qui arrivera à Lucile dans le prochain album. Je suis comme le lecteur.

On devine beaucoup d’empathie pour cette jeune journaliste. Comment est-elle née?
E.
Je regarde très peu la télé, mais pendant les manifestations des gilets jaunes, je suis tombé sur l’interview d’une JRI (Journaliste Reporter d’Images) qui expliquait qu’il lui était de plus en plus difficile de faire son métier, que de plus en plus de gens avaient une défiance, voire une haine des journalistes. Et que c’était encore pire pour les journalistes de chaines d’infos en continu. J’avais envie de mettre en scène une héroïne et je me suis dit : « Voilà, je l’ai. » C’est vrai que je l’aime déjà Lucile. Elle est jeune, elle débute, elle aime son métier. Elle pourrait être ma fille. Oui, je suis un vieux monsieur (sourire).

En quoi l’humour de « Lucile & l’info » est différent de celui des « Profs »?
E.
C’est un humour assez proche. Je veux rester tout public, même si je pense que le sujet de « Lucile et l’info » concerne plus les adultes que les enfants. En fait, pour les deux séries, je ne me demande pas à quel public elles s’adressent, je fais comme je le sens en essayant de rester proche de la réalité.
J’ai fait d’autres séries comme « Raoul et Fernand » ou « Roméo et Juliette » dans une veine plus absurde, proche du cartoon. Dans « Lucile » comme dans « les Profs », mon but c’est que ça fasse vrai même si pratiquement tout est inventé parce que ce ne sont pas des milieux que je connais de l’intérieur.

Derrière l’humour, est-ce que vous souhaitez aussi éveiller l’esprit critique de certains lecteurs au sujet de ces chaînes d’information?
E.
Ah oui, c’est bien si derrière l’humour on arrive à dire deux ou trois petites choses. Sans prétention aucune, bien sûr. Ce sont surtout les plus jeunes qui doivent se méfier du traitement de l’info à la télé, ils n’ont pas encore les codes pour décrypter les flots d’images qu’on y voit. Mais je pense que les réseaux sociaux sont encore plus dangereux que les chaînes infos parce qu’on peut vraiment y lire n’importe quoi, il n’y a aucun contrôle. Ce qu’on essaie aussi de montrer avec Lucile, c’est qu’il ne faut pas tomber dans l’excès inverse et traiter tous les journalistes de vendus. Il y en a beaucoup qui font leur métier du mieux possible. Une société sans journalistes, c’est une dictature.

Certaines situations ne sont pas très réalistes. Est-ce trop difficile de faire rire tout en restant réaliste ou est-ce un vrai choix de vous concentrer d’abord sur le divertissement?
E.
C’est un choix parce que justement je ne veux pas être trop réaliste, même si j’aime bien que le lecteur se dise « Ah, ça ne doit pas être loin de la vérité. » Tout ce que je raconte est inventé, je n’ai interviewé aucun journaliste pour écrire les scénarios. C’est une vision de candide, de spectateur lambda. Ce que j’aime, c’est imaginer, inventer des situations en partant du réel, mais en le déformant. Par exemple, il y a un gag qui met en scène un terroriste, mais avec des revendications ridicules : ça permet de désamorcer la gravité de la situation. Et c’est sûr que mon but, c’est que ce soit drôle, si possible, donc il doit y avoir un décalage avec le réel.

Avez-vous été invité sur une chaîne d’infos pour parler de « Lucile & l’info »?
E.
Non, mais j’aimerais bien. J’aurais la trouille, mais ça m’intéresserait de voir comment ça fonctionne de l’intérieur. C’est un peu ce qu’on dit dans l’album : tout le monde critique les chaînes infos, mais tout le monde à envie d’y être invité (sourire).

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Lucile & l’info » par Erroc et Arnaud Poitevin. Bamboo. 10,95 euros.

Share