Dobbs: «Une aventure violente, crasseuse, mais humaine et symbolique»

Après avoir exploré l’histoire de deux mythes du Far-West, Dobbs propose un western très sombre situé juste après la fin de la guerre de Sécession. «Souviens-toi que tu vas mourir» met en scène deux ennemis qui devront collaborer pour survivre. Un superbe récit âpre et tourmenté qui interroge les notions de pardon et de rédemption.


Vous avez scénarisé deux albums de la collection «La véritable histoire du Far-West». Vous êtes donc un grand fan de western?
Dobbs.
Amoureux du cinéma en général et du cinéma de genre en particulier, je suis un peu tombé dedans quand j’étais petit en regardant les émissions du Cinéma de minuit ou encore La dernière séance d’Eddy Mitchell. Cette dernière proposait beaucoup de westerns classiques et introduisait une histoire du cinéma plutôt intelligente et drôle qui me parlait. Dans mon adolescence, j’ai travaillé en vidéoclub où j’empruntais un maximum de films, et j’ai par ailleurs fréquenté bibliothèques et librairies, où j’ai pu découvrir le sujet en BD grâce au réalisme d’un Giraud ou d’un Michel-Blanc Dumont (« Blueberry » et « Cartland ») ou encore à l’humour du duo Lambil/Cauvin sur « Les Tuniques bleues ».


Quelles sont vos références?
D.
Le western revient cycliquement en force dans plusieurs médias et c’est tant mieux. J’ai autant pris de baffes avec Christian Rossi (« West ») et Ralph Meyer (« Undertaker »), qu’avec Paul Gastine (« Jusqu’au dernier ») et le jeu vidéo « Red Dead Redemption ». Au 7e art, mes références vont plutôt vers John Ford, Sam Peckinpah, Sergio Corbucci, Sergio Leone ou encore Clint Eastwood. Mais je ne boude pas mon plaisir de revoir des séries thématiques telles que « Les mystères de l’Ouest », « Brisco County Jr », « Lonesome Dove », « Deadwood », « Hell On Wheels », « Godless »… J’attends d’ailleurs de voir « 1883 », la série préquelle de « Yellowstone ». La collection «La véritable histoire du Far-West» m’a remis le pied à l’étrier, avec des collaborations vraiment marquantes et riches : Farid Ameur en conseiller historique, mon ami Chris Regnault à la co-scénarisation et aux dessins/couleurs de Jesse James et les hyper talentueux Ennio Bufi et Greg Lofé pour Wild Bill Hickok, sans compter évidemment Cédric Illiand mon éditeur historique chez Glénat.


Est-ce que ce sont ces deux albums consacrés à Jesse James et Wild Bill Hickock qui vont ont donné envie d’écrire cette fiction?
D.
En fait, l’histoire est antérieure à ces ouvrages parus chez Glénat-Fayard il y a peu. J’en ai eu l’idée il y a quelques années après mon travail sur le diptyque « Alamo » aux éditions Soleil (dans la collection 1800), en mixant dans mon esprit de vieux souvenirs de « La Chaine » de Stanley Kramer, de « Duel dans le Pacifique » de John Boorman ou encore d’ »Enemy mine » de Wolfgang Petersen en les transposant en western. Le principe, c’était de mettre en scène des évènements marquants et violents frappant les personnages dans un périple initiatique et traumatique qui «fleurait bon» le survival.


«Souviens-toi que tu vas mourir» se déroule juste après la guerre de Sécession. C’est une période intéressante d’un point de vue scénaristique?
D.
Absolument, il y a à ce moment-là une illusion d’union entre les deux anciens camps ennemis. N’oublions pas aussi l’attentat contre Lincoln par le sudiste John Wilkes Booth qui frappe dès avril 1865, le mois de l’arrêt des combats. La reconstruction semble alors difficile, car plus de 600.000 morts ont été décomptés durant le conflit, que les civils ont souffert et que le ressentiment contre l’adversaire perdure. Le désir de revanche et le racisme vont alors freiner la reconstruction et l’entente entre ce Nord et ce Sud aux blessures inguérissables. Ressentiments et traumatismes vont faire que la société civile et la politique devront composer avec des éléments qui montrent que le feu couve encore et que tout n’est que désillusion pour certains. L’armée nordiste d’occupation ne peut être partout, les frontières sont encore floues et chaotiques, les gangs apparaissent, la justice expéditive et les actes de violences vont alors faire partie du quotidien, faisant un nombre important de victimes directes et collatérales.

Vous développez votre histoire sur «seulement» 56 pages ce qui est assez rare. C’était un choix ? Une façon de ne pas ajouter trop de péripéties et de rester crédible?
D.
La pagination du récit est autant un choix scénaristique qu’une demande éditoriale. Nous sommes tombés d’accord sur ce qu’il fallait dire et comment il fallait le dire, au-delà d’un classique 46 pages mais sans noyer les personnages dans des péripéties annexes ou dans un axe contemplatif qui n’avait pas forcément sa place ici. C’est un bon compromis, me semble-t-il, dans cette approche réaliste dont vous parlez à juste titre.


Blackwood est un assassin en quête de rédemption. Meadows doit, lui, réussir à contenir sa haine pour espérer survivre. Comment sont nés ces personnages tourmentés ?
D.
Ils se sont logiquement construits en opposition, avec l’idée qu’une alliance temporaire ne peut déboucher en aucun cas sur une amitié durable. Ils se devaient d’être forts, immédiatement compréhensibles par le lecteur, avec une couche de souffrance sous la surface rugueuse et âpre : leur lien intime s’est vite formalisé autour de la perte d’un être cher. Blackwood est las de toute lutte, et voit l’opportunité de quitter le gang Quantrill pour enfin retrouver son fils. Quant à Meadows, son aveuglement n’a d’égal que son humanité et une certaine forme de vulnérabilité. Il y a parfois des airs de ressemblance avec Denzel Washington pour l’un et Josh Brolin pour l’autre, ce n’est pas fortuit. Et puis, une soirée d’insomnie en visionnant « Glory », « le Magicien d’Oz » et « Mad Max » ont fini par me mettre sur une certaine voie (rires).


Le dessinateur Nicola Genzianella donne beaucoup de dynamisme aux nombreuses scènes d’action. C’est ce que vous cherchiez dans son dessin?
D.
Oui, je connais son style depuis plusieurs années. J’avais lu « Bunker, » écrit par Christophe Bec, et également pas mal de « Dampyr » italiens. La nervosité de son trait et son sens du dynamisme m’avaient marqué avec son William Adams. Il a fait des planches test pour l’éditeur et ça a tout de suite collé, ne serait-ce qu’avec la chevauchée des cavaliers en introduction. La couleur et les textures de Claudia Palescandolo ont fini par donner corps à cette aventure violente et crasseuse, mais profondément humaine et symbolique.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

«Souviens-toi que tu vas mourir» par Dobbs et Nicola Genzianella. Glénat. 14,95 euros.

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