Clarke : « D’abord les personnages et leurs émotions »
Déstabilisant dans ses premières pages, « Nocturnes » est un thriller psychologique particulièrement original. Mais, comme le précise Clarke, son auteur, c’est aussi et surtout l’histoire tourmentée de personnages qui doivent affronter leur passé.
Il est très difficile de parler de « Nocturnes » ou de vous poser des questions sans trop en dévoiler la trame. C’est un problème pour communiquer sur l’album ? Est-ce que vous en avez parlé avec l’éditeur ?
Clarke. Ça pourrait être un problème… Mais je n’en ai pas discuté avec l’éditeur auparavant et, en ce qui me concerne, le véritable propos de l’album n’est pas sa trame de départ, c’est-à-dire la mise en abyme de l’écrivain et de ses personnages. Le fond de l’histoire est plutôt, pour moi, ce qui se passe dans le dernier tiers du récit : la confrontation frère/sœur et ce qu’ils vivent, qui tient plus de la psychanalyse qu’autre chose. Donc, je n’ai aucun problème à dévoiler le corps du scénario. D’autant qu’il y a quand même encore beaucoup à dire sur le sujet… On en a cependant discuté avec les attachées de presse dès les premières interviews, car le problème était devenu très vite évident.
Le plaisir de Nocturnes est justement de découvrir et de se faire surprendre par un scénario qui avance par palier. Vous aviez envie de déstabiliser le lecteur ?
C. Dans les premières scènes, oui. J’ai construit le début de l’histoire de la façon la plus absconse possible. Un peu comme une conversation qu’on prendrait en cours et à laquelle on ne comprendrait pas grand-chose. Je voulais éviter les mises en place fastidieuses et conventionnelles qui éloignent le lecteur du vrai sujet : les personnages et leurs émotions. Ensuite l’histoire, après ce début plutôt fragmenté, devient plus linéaire. Mais là, c’est le décor et l’univers qui commencent à se fragmenter !
Cet album aborde le thème de la thérapie par l’écriture. Est-ce qu’il y a beaucoup de Clarke dans cet album ?
C.
Je dirais plutôt que, du point de vue de l’écrivain de l’album, on est plus dans une volonté de vengeance, ou sans doute de mettre des choses par écrit pour apporter une preuve qu’on a raison. C’est justement ce qui fait qu’à la fin, on n’aboutira à rien. Pas de rédemption, pas de dialogue possible, juste le fait de devoir continuer à vivre avec ses erreurs. De mon point de vue, il y avait effectivement une notion de thérapie, et beaucoup de choses personnelles ont été incluses dans le scénario. Mais là, on rentre dans une double mise en abyme : celle de Léo et la mienne !
Léo refuse de s’attacher à ses personnages. Et vous ? Est-ce que vous avez parfois envie de continuer le chemin avec eux et d’écrire un album supplémentaire ?
C.
Léo refuse de s’attacher à ses personnages parce qu’il sait qu’ils vont mourir avec lui. Et qu’il se sent, d’une certaine façon, coupable de leur désarroi. En ce qui me concerne, même si j’ai parfois suffisamment d’attachement pour un personnage au point de vouloir continuer avec lui, je n’oublie jamais qu’il lui faut d’abord une histoire qui justifie son retour…
Pour survivre, vos personnages peuvent devenir très égoïstes. Est-ce un constat de l’évolution de la société ?
C.
Non, la société ne change pas. Et les gens non plus. Ceux-ci, en l’occurrence, me font penser aux passagers d’un bateau en train de couler. Tout soudés qu’ils soient, ils vont, au final, se battre pour arriver les premiers aux canots de sauvetage. Ce genre de comportement n’a rien de neuf et est immuable.
C’est un album que l’on a immédiatement envie de relire une seconde fois pour redécouvrir certains détails. Cette seconde lecture, c’est quelque chose que vous avez intégré dans votre travail ?
C.
J’y ai effectivement pensé et j’ai glissé des tas de détails à droite et à gauche que je serai probablement le seul à voir. Mais c’était nécessaire : un univers en construction se doit d’être cohérent et précis si on veut qu’il existe. Un exemple : lorsque Margaret disparaît dans sa voiture verte, Denis part la chercher dans la même voiture. Une incohérence qui était destinée à montrer qu’on était bien dans un univers de fiction et que ses lois ne répondaient pas aux nôtres. Donc, cette seconde lecture m’est restée présente à l’esprit, au moins dans la première partie du récit. Même si elle ne devait pas entraver le scénario…
Emmanuel LAFROGNE
« Nocturnes » par Clarke. Le Lombard, collection Signé. 14,95 euros.