Christophe Bec : « Une sorte d’hommage à Star Trek »

Invité par ses éditeurs à écrire une série à la « Star Trek », Christophe Bec se frotte pour la première fois à la hard sf avec cet intrigant « Crusaders », où une colonie humaine reçoit les plans d’un vaisseau pour traverser l’univers.

En lisant « Crusaders », on devine une vraie passion pour l’espace…
Christophe Bec. Je parlerais plutôt d’une fascination. Ça remonte sans doute à l’enfance, je me souviens qu’à une époque je voulais être astrophysicien, sans savoir exactement ce dont il s’agissait à vrai dire, puis est venu le souhait d’être coureur cycliste, ce qui ne requiert probablement pas les mêmes aptitudes et qualités… Puis à l’adolescence, cette attraction s’est développée via la bande dessinée, la littérature et le cinéma, avec « Les Pionniers de l’Espérance », « Yoko Tsuno », « Les Naufragés du Temps », « Valérian », « Dune », « 2001 l’Odyssée de l’Espace », « Alien »… La science-fiction et le fantastique m’ont attiré très tôt.

Quand j’ai pris mon envol après deux séries ratées où j’étais loin de ce que j’affectionnais, je me suis orienté vers un mix des deux genres, avec la série « Zéro absolu », coréalisée avec Richard Marazano, dont une nouvelle intégrale devrait sortir prochainement. C’était un des moments charnière de ma carrière, où j’avais décidé de faire ce que j’aimais pour me donner une chance que ça fonctionne. Ça n’a pas été un immense succès, ça a été une série plutôt controversée, mais qui est tout de même rééditée régulièrement depuis plus de 20 ans. Par la suite, je me suis à nouveau assez souvent frotté à la SF, avec « Eternum » ou « Sibéria 56 » par exemple, et maintenant avec « Crusaders » et prochainement « Labyrinthus ».

Vous parlez de courbure dans l’espace-temps, de matière noire, du big bang,… C’est parfois même assez pointu pour une bande dessinée. Vous aviez envie de cette approche très scientifique et du coup très réaliste ?
Ch.B. En fait, c’était au départ une requête de mes éditeurs, Guy Delcourt et Jean Wacquet, qui m’avaient demandé de réfléchir à une sorte de « Star Trek » mais avec les dernières découvertes en matière d’astronomie. Il s’agissait simplement de se diriger vers de la hard SF, ce que je n’avais pas fait jusque-là. Le défi m’a passionné et ça a donné « Crusaders ». J’adore la hard SF, mais je ne me contentais que d’en lire : Alastair Reynolds, Peter F. Hamilton, Stephen Baxter, Robert Charles Wilson… Je pensais que c’était un genre au-dessus de mes capacités. Je ne sais pas si je serai à la hauteur avec « Crusaders » et « Labyrinthus », deux séries qui appartiennent à ce domaine, mais je suis ravi qu’on m’ait permis d’aborder ce genre, qui généralement brasse des concepts énormes. C’est très excitant à réaliser, mais en même temps ça demande une exigence et une rigueur terribles.

La plupart des récits mettant en scène des extra-terrestres racontent leur invasion de la planète Terre. Qu’est-ce qui vous plaisez d’inverser les choses en envoyant plutôt les humains chez ces Emanants ?
Ch.B. Justement, je parlais de « concept » juste avant. Il est important quand on aborde la SF comme ça, d’essayer d’éviter les sentiers battus. En même temps ici, la contrainte était que ce soit une sorte d’hommage à « Star Trek », donc quelque chose d’hyper balisé, mais il fallait essayer d’amener un petit truc en plus. Un auteur comme Alastair Reynolds m’a ouvert des horizons. J’ai simplement tenté de suivre ses pas à mon niveau, essayant d’être ambitieux dans ma vision des choses. C’était une façon aussi de bousculer mon travail. Sans parler de remise en question, il est des genres comme ça qui demandent une discipline et une ambition particulières. Je pourrais évoquer le western aussi. Je m’y attaque depuis quelque temps, avec une série dessinée par Michel Rouge, « Gunfighter », en cours de réalisation depuis plus de quatre ans, et deux albums sur Billy the Kid et Butch Cassidy dans une future collection sur les légendes de l’Ouest.

Vous citez « Star Trek ». Est-ce une référence pour vous ?
Ch.B. En fait, pas vraiment. J’ai vu pas mal d’épisodes bien sûr et quelques films, mais enfant et ado, je regardais plutôt « Cosmos 1999 » et « Thunderbirds ». Pour les influences, outre les auteurs de SF que j’évoquais et auxquels je pourrais rajouter Frank Herbert et Theodore Sturgeon, il y a évidemment le film « Contact » de Robert Zemeckis. Le postulat de départ est un peu identique, même si mon histoire démarre sur Titan, avec des extraterrestres qui via un signal envoient les plans de vaisseaux pour traverser l’univers. Sauf que dans mon histoire, tout est à plus grande échelle et la menace le sera également.

La rencontre avec les Emanants m’a fait penser au film Premier contact de Denis Villeneuve…
Ch.B. Non (rires). Je n’ai pas du tout aimé ce film, alors que je classe « Prisoners » très haut dans mon top des meilleurs films. Des écrivains de SF comme Alastair Reynolds vont beaucoup plus loin dans leur vision des choses. C’étaient eux mes références essentiellement.

« Crusaders » raconte que l’homme colonise d’autres planètes pour extraire ses richesses et subvenir à ses besoins. Cela vous semble irrémédiable ?
Ch.B. J’aimerais dire non. Mais je suis très pessimiste sur la question. Je crois que l’on va droit vers la sixième extinction de masse, et qu’elle arrivera plus tôt qu’on ne le croit. On est tous responsables. On n’est pas prêt fondamentalement à remettre en question notre façon de vivre. C’est un peu la morale de ma série « Prométhée ». On mérite une bonne grosse branlée par des aliens ! Ce serait quand même plus fun qu’un hiver nucléaire (rires).

Ce premier tome introduit votre univers et présente les personnages. Est-ce le début d’une nouvelle grande saga ? Savez-vous déjà combien de tomes sont prévus ?
Ch.B. Je ne sais pas encore. Cela dépendra des ventes du premier tome. Mais, disons trois ou quatre pour le premier arc narratif. Le principe à la « Star Trek » induit qu’il pourrait y avoir d’autres histoires par la suite, mais on n’en est pas encore là. Aujourd’hui, c’est le marché qui décide de la potentielle longueur des séries. C’est une question qui me fait beaucoup réfléchir. J’ai des sagas longues comme « Prométhée » ou « Carthago ». Sans un certain succès, je n’aurais jamais pu aller si loin. Mais je dois être aussi vigilant à une certaine lassitude, même si c’est génial comme pour « Prométhée » de développer un univers si vaste, avec autant de situations, de lieux, d’époques et de personnages. « Olympus Mons » marche aussi très bien, et j’avais une idée pour un second cycle court, mais j’ai pris la décision de m’arrêter. Le prochain à paraître, le sixième, sera bien le dernier.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Crusaders, tome 1. La Colonne de fer » de Christophe Bec et Leno Carvalho. Soleil. 15,95 euros.

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