Christophe Bec : « Mon premier vrai western »

Après avoir exploré presque tous les genres de la bande dessinée, Christophe Bec s’attaque au « vrai » western en remontant aux sources du récit de cow-boys. Magnifiquement dessiné par Michel Rouge, « Gunfighter » raconte le conflit entre deux familles d’éleveurs aux idéologies bien différentes. 


Vous avez déjà écrit plusieurs westerns comme « Princesse rouge » ou « Death mountains »…
Christophe Bec. Je n’ai pas écrit « Princesse rouge », mais je l’ai dessiné au début de ma carrière sur un scénario de Rocca. Je ne le considère d’ailleurs pas comme un vrai western. « Death Mountains » non plus. Disons que ce ne sont pas des westerns traditionnels, puisque le premier se situe au Canada avant la conquête de l’ouest et le second se déroule à l’époque des premiers pionniers. Je considère donc « Gunfighter » comme mon « vrai » premier western.

Qu’est-ce qui vous plait autant dans ce genre ?
Ch. B. Le western me fascine depuis tout gamin, par le cinéma et la bande dessinée : les films de Sergio Leone, d’Eastwood ou d’Arthur Penn, Jerry Spring, Blueberry, Mc Coy, Jonathan Cartland, Durango… Tout cela a baigné mon enfance et mon adolescence. J’ai toujours voulu en écrire, mais à la période où j’ai commencé à écrire des scénarios de bande dessinée, le western n’était plus du tout à la mode. Mais, j’ai écrit « Gunfighter » il y a 5 ou 6 ans, avant « Undertaker » par exemple. Aujourd’hui pas mal de westerns sortent en BD, et c’est tant mieux, car c’est un genre extrêmement visuel avec des thématiques qui peuvent être universelles et très actuelles.

Qu’est-ce qu’un gunfighter ?
Ch. B. Un terme générique qui englobe les bras armés au service de puissants. C’était un moyen de faire faire le sale boulot sans trop se salir les mains. Mais parfois ils pouvaient servir une cause juste, comme c’est le cas de Bellamy dans mon scénario, qui est un Blue Devil, un coupeur de barbelés. Sans aller jusqu’à être des tueurs à gages, disons qu’il fallait parfois savoir employer la force de dissuasion pour faire prévaloir les droits et opinions des employeurs. Sans être des rois de la gâchette, ou des tireurs extrêmement rapides, c’était plutôt leur capacité à agir de sang-froid qui faisait leur qualité.

Cette série raconte notamment le conflit entre deux familles qui élèvent des vaches. Vous aviez envie de remonter à l’essence même du film de cow-boys ?
Ch. B. Exactement. Le thème a été plusieurs fois traité au cinéma, mais beaucoup moins en BD. Je ne vois guère que l’album de Lucky Luke, « Des barbelés sur la prairie ». En creusant le sujet, j’ai également vite réalisé que cette thématique pouvait faire écho à des préoccupations personnelles, comme l’élevage intensif, l’amélioration des races… Étant Aveyronnais d’origine, la race Aubrac est un peu l’équivalent des Longhorns, race ancestrale à grandes cornes, des Cotten.

Vous êtes habitué à écrire des récits fantastiques. Est-ce qu’un western vous impose plus de contraintes ?
Ch. B. Je suis plus habitué aux récits de SF, d’anticipation ou fantastiques, mais j’ai écrit aussi dans beaucoup d’autres genres. Certains lecteurs ont parfois la tendance à ne focaliser que sur mes gros succès : « Sanctuaire », « Bunker », « Carthago », « Prométhée », « Olympus Mons »… Mais, je me suis frotté à bien d’autres genres, comme le biopic avec « Wadlow », l’historique avec « L’Aéropostale », « Death Mountains » ou « Royal Aubrac », le récit introspectif avec « Carême », « Anna » ou « Les Tourbières noires », le thriller, le récit d’horreur, la hard SF, le contemporain, l’adaptation de roman…

Est-ce que votre travail de scénariste est différent selon les genres ?
Ch. B. Je ne vois pas de différence dans l’approche. J’ai la même rigueur. Certains récits demandent plus ou moins de documentation en amont. Après, c’est toujours de trouver un angle et un vecteur intéressants. Je redoutais un peu d’écrire « Gunfighter », puis je me suis rendu compte au fur et à mesure de l’avancement que j’étais dans mon élément, que j’étais « à la maison », tant le western m’est familier.

Votre gunfighter, Bellamy, est un personnage mystérieux et ambigu. On le devine plutôt du bon côté, mais on le découvre aussi spectateur de la pendaison d’un gamin. Cette ambiguïté crée la richesse de ce personnage ?
Ch. B. Je lis les premières critiques et beaucoup évoquent un grand classicisme du récit. Oui, je le revendique, dans le thème et la forme choisie. Mais par contre j’ai essayé d’émailler mon récit de tout un tas de choses que je pense originales, ou tout du moins que l’on ne connaît pas vraiment, que j’ai moi-même apprises lors de la fameuse phase de documentation. Dans mon histoire, on est quand même loin du cow-boy des films hollywoodiens des années 50. Ils étaient au plus bas de l’échelle sociale, à peine au-dessus des clochards, ils ne possédaient rien, et c’était un boulot extrêmement mal payé. Ils n’étaient pas acceptés dans les villes, dans les Cattle towns, après les Long drive, où ils ne s’étaient pas lavé durant plusieurs semaines, ils étaient pouilleux, ils puaient… On les mettait en l’écart, en dehors des villes. J’évoquerai ça bien évidemment dans le tome 2. Je voulais aussi montrer qu’une scène de pendaison n’était pas quelque chose d’aussi expéditif qu’on pourrait le penser, que la vie d’un homme valait parfois moins que celle d’un cheval. Bellamy n’est pas un redresseur de torts, ce n’est pas un héros au sens premier du terme. Par contre, il a un certain sens de la justice et de la liberté. Il ne sacrifiera pas ses idéaux.

Gunfighter bénéficie du dessin de Michel Rouge, qui avait repris « Comanche » et « Marshal Blueberry ». En quoi son trait est idéal pour un western ?
Ch. B. Michel Rouge est un héritier d’une BD qui se perd totalement. Évidemment, son style est proche de celui de Giraud, mais il ne le pastiche pas. Il y a une vraie sincérité chez Michel dans l’approche du dessin. Il a une gestion extraordinaire des cases et de la page. Il arrive à rentrer dans une case un grand nombre d’informations sans que ce soit lourd ou bouché. Il gère l’espace d’une façon magnifique. Même dans de petites cases, il arrive à suggérer une grande profondeur de champ. C’est une façon de cadrer que l’on ne sait quasiment plus faire. Il ne le sait pas, ou feint de ne pas le savoir, mais c’est un maître.

Un maître dont vous étiez lecteur ?
Ch. B. J’étais ultra fan de ses séries « Les Écluses du Ciel » et « Les Héros cavaliers »  quand j’étais ado. Il me paraissait évident qu’il devait revenir au western. Je l’ai convaincu de reprendre l’encrage au pinceau et à l’encre de Chine qu’il avait abandonné. Pour moi, une « vraie » BD doit être encrée. La lisibilité avant tout. Le code. Il a accepté et j’en suis ravi. Il ne faut pas oublier Corentin, son fils, qui l’a parfois aidé sur le story-board de certaines pages, et qui a réalisé toutes les couleurs, qui sont d’une rare subtilité et parfaitement en harmonie avec le dessin de son père. Corentin est aussi un des tout meilleurs dessinateurs réalistes actuels.

Savez-vous déjà combien de tomes va comporter la série ?
Ch. B. Deux albums. Il y aura peut-être une possibilité d’un troisième tome, mais le deuxième bouclera l’histoire entamée avec le premier. Michel prend le temps de bien faire les choses. On n’est pas du tout dans une logique de productivité avec « Gunfighter ». On suit l’idéologie sincère et authentique des Cotten contre celle de Wallace.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Gunfighter » par Christophe Bec. Glénat. 14,50 euros.

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