Borris: «Une tension dans les dialogues»

Adapté d’un roman plusieurs fois primé écrit par Franck Bouysse, « Grossir le ciel » est un polar rural très noir, poignant, âpre. Un huis-clos tendu plein de non-dits entre deux paysans solitaires. Son adaptation par le dessinateur Borris retranscrit parfaitement cette ambiance oppressante et magnifie la dureté des paysages hivernaux dans les Cévennes.

Qui a eu l’idée d’adapter le roman « Grossir le ciel » en bande dessinée?
Borris.
Franck Bouysse et les éditions Delcourt voulaient adapter ce roman en bande dessinée. Lors d’une rencontre littéraire, un libraire a mis mon album « Charogne » dans les mains de Franck. Ça lui a plu. Au même moment, dans une autre librairie, un libraire me conseillait ardemment de lire du Franck Bouysse. Ce jour-là, j’ai acheté « Grossir le ciel », qui m’a emballé. Quand j’ai reçu le mail de proposition des éditions Delcourt, j’ai répondu immédiatement oui.

Screenshot


Qu’est-ce qui vous plaisait dans cette histoire rurale sombre et poignante?
B.
Tout d’abord, c’est le style de Franck qui m’a attrapé, la densité de ses atmosphères, la façon dont il rend palpable les éléments naturels, l’air, le froid, les animaux. Et la tension de ses dialogues. Ça tranche, ça taille, les personnages se parlent mais on ne comprend pas trop où ça va, ils parlent en non-dits, et il faut saisir ce qui s’échange en dessous.

Comment résumer « Grossir le ciel »?
B.
Deux paysans solitaires dans deux fermes perdues sur un plateau cévenol. Ils s’entraident, boivent des coups et un jour, il y a des détonations et Gus découvre du sang sur la neige dans la cour d’Abel. Gus prend peur. Abel devient étrange, le roman noir commence…

Qu’est-ce que la bande dessinée peut apporter au récit?
B.
Une des choses que peut peut-être apporter la bande dessinée, c’est l’incarnation de Gus voulue par Franck. Il m’a indiqué le personnage qui l’avait inspiré dans les films « Profils paysans » de Raymond Depardon. Jamais je n’aurais pensé à une telle chevelure et à un air si doux et désespéré. Je le voyais beaucoup plus nerveux à cause de ses réparties dans les dialogues.

Screenshot

Qu’est-ce que vous avez essayé d’y apporter?
B.
J’avais humblement envie que cela soit beau, pour contre-balancer l’horreur des scènes difficiles. J’avais envie d’une lumière nuancée sur la neige, dans la nuit, sur les arbres…

Quelles sont les premières images qui vous sont venues à l’esprit en lisant le roman?
B.
L’image qui m’a le plus frappé, qui n’est d’ailleurs pas dans la bande dessinée, c’est quand il parle de Gus montant sur son tracteur sur la place de la ville. Franck fait une analogie avec le monument aux morts qui est derrière le tracteur et décrit Gus sur son véhicule comme un monument à la paysannerie moribonde. Il y a une dramaturgie de la solitude qui s’est cristallisée pour moi à ce moment là. Mais il y a d’autres images qui m’ont accompagnées et que j’ai utilisées. Par exemple, Franck parle du chien en disant qu’il a des oreilles qui bougent comme deux gants de toilettes. C’est irrésistible et ça donne une aide considérable à l’animation de l’animal avec ses deux oreilles qui font un peu ce qu’elles veulent quand il marche.

Screenshot

Vous avez choisi de dire beaucoup de choses par le dessin. C’était un choix indispensable pour vous démarquer du roman?
B.
C’est venu comme ça. Je trouvais que ça permettait de coller à l’intrigue, d’augmenter les incompréhensions de Gus et de monter ainsi la pression. Il y a quand même des textes qui accompagnent les flashbacks, pour retenir un peu la lecture et entendre la langue de Franck Bouysse.

Votre style graphique s’adapte aux ambiances des flashbacks. Quelle était votre idée en utilisant ce procédé orignal?
B.
J’ai vu ce procédé chez Gipi, dans « Vois comme ton ombre s’allonge » paru chez Futuropolis. On change d’époque, on change de niveau de perception, on change de style. Les propositions se mélangent j’espère que ça rend la lecture plus dynamique en ouvrant et refermant les portes et les tiroirs de la vie de Gus.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Grossir le ciel » par Borris et Franck Bouysse. Delcourt. 19,50 euros.

Share