Alfred: « Daho était notre guide »
De toutes les BD qui parlent de rock (ou de pop), « L’homme qui chante » est certainement la plus intéressante, la plus instructive et la plus aboutie. De son écriture jusqu’à son adaptation sur scène, David Chauvel et Alfred ont accompagné toute la vie du dernier album d’Etienne Daho.
Comment est né ce projet ?
Alfred. Depuis un moment déjà, nous parlions avec David Chauvel de notre souhait d’aborder la forme du documentaire en bande dessinée. En poursuivant nos conversations, l’envie de suivre un artiste en phase de création revenait souvent. De fil en aiguille, on en arrive à parler d’Etienne Daho dont nous aimons tous les deux le travail depuis des années. Et de cette idée de « dessiner de la musique ». C’est en apprenant qu’il s’attaque à un nouvel album, que nous prenons ça comme un signe, et le contactons via son manager de l’époque.
Est-ce qu’Étienne Daho a été difficile à convaincre ?
A. Notre demande a suscité assez de curiosité pour qu’un rendez-vous soit pris avec son manager. Puis directement avec Étienne, qui a été emballé par l’idée.
Que représentait Étienne Daho pour vous ?
A. Il fait partie des quelques artistes français que j’écoute depuis des années. Aux côtés de gens comme Brigitte Fontaine, Bashung ou Dominique A. Comme beaucoup, j’ai toujours entendu les chansons d’Etienne Daho, parce que depuis plus de trente ans, c’est un artiste incontournable. Mais, c’est il y a 20 ans, avec son album « Eden », que je rentre vraiment dans son univers et ne le lâche plus. À cette époque, ce disque entrait en résonance avec ma vie.
Comment se sont déroulées vos séances de travail ?
A. Notre intention de départ était d’être les témoins les plus discrets possible. Aucune caméra ni appareil photo, juste nos carnets et nos crayons. David et moi avons naturellement pris des places différentes. Lui était plus attentif à l’ambiance générale, alors que moi je me rapprochais des choses et des gens pour les dessiner de près.
Quel a été votre rythme de travail ?
A. Durant presque trois ans, nous avons cohabité avec les différents acteurs de ce disque, dans les différents lieux où il s’est fabriqué. Des studios à Londres, aux salles de concert, en passant par les lieux de répétions, les plateaux télé et les bureaux de la maison de disque. L’idée était de couvrir toutes les étapes de la vie de ce disque. Nous sommes allés partout où il était important de capter une parcelle de ce long chemin. La fréquence était donc variable. Toutes les semaines à Londres, le temps de l’enregistrement en studio, puis rien pendant trois mois, puis à nouveau des allers-retours pour la promo, puis une pause, puis de nouveau pour les répétitions de la tournée…
Dès le départ, il était prévu qu’Étienne Daho devienne le narrateur de ce livre ?
A. Nous avons démarré ce livre sans plan établi. Nous voulions le découvrir en même temps que nous le ferions. Il s’avère que dès le premier jour, naturellement et avec beaucoup de générosité, Étienne est devenu… le guide de cette aventure. Nous l’avons suivi. Et c’est tout aussi naturellement qu’il est devenu le fil rouge du livre. Toutefois, il s’agit bien d’un livre sur Etienne Daho en phase de création de son album, et non un livre sur « la vie d’Etienne Daho ».
Ce qui frappe à la lecture, c’est la grande sérénité qui se dégage d’Étienne Daho…
A. C’est quelqu’un qui dégage ça. Quelque chose de très serein et très apaisé en surface… mais dont on ressent un grand bouillonnement intérieur. Il y a quelque chose de très positif qui émane de lui. Quelque chose qui « donne envie de faire ». Je repartais de chacune de nos séances, débordant d’envie de dessiner, d’écrire, de créer..
Pourquoi avoir opté pour un dessin aux crayons de couleur avec en plus une palette très limitée ?
A. Ce sont les outils que j’utilise dans mes carnets personnels, quand je pars en voyage. Lors de notre première rencontre avec Étienne, à Londres, je suis naturellement parti en prenant, comme chaque fois, mon carnet et ma trousse de crayons de couleur. Je n’avais alors aucune idée de la technique que j’utiliserai sur le livre. J’ai commencé à prendre les premières notes comme ça, au crayon, pendant un an. Au moment de prendre du recul sur ces carnets, pour commencer à construire le livre, je me suis aperçu avoir dès le départ utilisé la technique la plus évidente pour ce livre. Cette histoire est un voyage, une balade à l’intérieur de la création de ce disque. Il était donc normal que je le dessine comme je le fais en voyage.
L’homme qui chante est aussi un passionnant documentaire sur les différentes étapes de la vie d’un disque. On y découvre le travail d’un directeur artistique, d’un responsable de projet ou d’un manager. Cette partie du travail ressemble davantage à un travail journalistique ?
A. C’était dès le départ notre volonté, de donner la parole aux gens qui allaient apporter des pierres importantes à l’édifice de ce disque, mais dont on ne parle jamais trop. En ça, il y a quelque chose du journalisme, c’est vrai. Mais c’était, encore une fois, une envie de se frotter à la forme du documentaire, que nous avions David et moi…
C’est d’ailleurs clairement identifié dans l’album avec des cases sans aucun décor. Pourquoi ?
A. Aussi naturellement qu’Étienne devenait le « guide » du livre, il m’est apparu évident qu’il faudrait séparer sa parole, des interventions des autres protagonistes. Ce sont deux temps différents, deux rythmes différents. Il fallait les mettre en évidence dans le livre et que le lecteur les perçoit au premier coup d’œil.
Dessiner de la musique est un vrai défi ?
A. C’était une des choses qui m’intriguait avec ce livre. Je n’aime pas trop quand, dans une BD, on raconte la musique en dessinant des petites notes qui flottent. Parce que pour moi, ça n’évoque rien. Je n’entends ni ne vois la musique ! Je suis musicien moi-même, mais ne la lis pas. En revanche, chercher un moyen de représenter ce que dégagent les sons, les vibrations, les couleurs… Là, il y avait quelque chose qui me donnait envie de creuser.
Votre chanson préférée d’Étienne Daho ?
A. « Ouverture », sur l’album « Corps et armes ». Il s’en dégage quelque chose qui me dépasse. Qui me happe à chaque écoute, toujours…
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Daho – L’Homme qui chante » par Alred et David Chauvel. Delcourt. 18,95 euros.