Alcante: «Le match de ping-pong dans Forrest Gump»
En 1971, un joueur de ping-pong américain a changé la face du monde en initiant involontairement le rapprochement entre les États-Unis et la Chine de Mao. Avec «La diplomatie du ping-pong», Alcante raconte une improbable amitié qui inspira même une scène du film «Forrest Gump».
«La diplomatie du ping-pong» est d’abord une histoire vraie…
Alcante.Si vous avez vu le fim « Forrest Gump », vous vous souvenez sûrement de ce match de ping-pong entre Forrest et un Chinois devant des milliers de spectateurs ? Ce match a réellement eu lieu, et ma BD raconte l’histoire réelle derrière celui-ci. « La diplomatie du ping-pong » se réfère donc à des matchs amicaux de tennis de table qui ont eu lieu en 1971 entre la Chine et les USA, alors que ces deux pays n’entretenaient plus de relations diplomatiques depuis l’arrivée au pouvoir de Mao en 1949. Les joueurs américains sont devenus les premiers Américains à mettre le pied en Chine depuis plus de 20 ans, et ces matchs ont permis une reprise des relations diplomatiques entre les deux pays, ainsi que l’entrée de la Chine à l’ONU ! Tout cela a fait suite à l’amitié inattendue et improbable qui s’était nouée entre un pongiste chinois et un pongiste américain lors des championnats du monde de 1971 au Japon.
Comment avez-vous découvert cette incroyable histoire?
A.Je ne sais plus exactement quand j’en ai entendu parler pour la première fois, mais cela doit remonter à très longtemps. Quand j’étais enfant, fin des années 70, début des années 80, nous jouions mon frère et moi dans un club de tennis de table, et nous avions une vieille table de ping-pong dans notre garage. Par ailleurs, nous avions des amis chinois et mon père était assez passionné par la Chine. Tout ceci explique que j’ai dû prendre connaissance assez tôt de cette histoire, du moins dans les grandes lignes.
Vous aviez tous les ingrédients pour écrire un bon scénario…
A. Quand j’ai appris que les éditions Delcourt lançait une collection (« Coup de tête ») sur les histoires vraies où des événements sportifs avaient dépassé le cadre purement sportif pour avoir un impact sociétal, j’ai immédiatement voulu raconter cette histoire. C’est seulement alors que je me suis renseigné en détail sur celle-ci, et quand j’ai vu que le protagoniste américain était en plus un jeune hippie au look fantasque, cela m’a persuadé que je tenais vraiment une chouette idée de scénario !
Comment expliquez-vous que cet événement important de la Guerre froide soit resté méconnu en France?
A. Je pense que cela doit quand même être connu des personnes qui étaient déjà adultes en 1971 car cela a fait pas mal de bruit à l’époque. Mais cela commence à remonter, donc ces personnes-là ont peut-être oublié cette histoire. De plus, ça ne concernait pas directement l’Europe, les protagonistes étaient Américains et Chinois. Donc ça paraît lointain à la fois dans l’espace et le temps. La grande Histoire a sûrement supplanté la petite. On se souvient davantage du rapprochement entre Nixon et Mao que de celui entre deux joueurs de ping-pong, c’est normal.
Sans être jamais didactique, «La diplomatie du ping-pong» est une captivante leçon d’histoire sur les relations internationale au début des années 70 mais aussi sur la Chine sous Mao…
A. Ayant été en Chine en 2011, je m’étais pas mal renseigné sur l’histoire du pays à l’époque. Cela avait d’ailleurs déjà donné naissance à une de mes autres BD (le triptyque « LaoWai » qui tourne autour des guerres de l’opium au XIXe siècle). Mais j’avais lu aussi pas mal de choses sur l’époque de Mao, le grand bond en avant et la révolution culturelle, qui sont des événements totalement incroyables. Quand j’ai appris que cela avait même eu un impact sur le triple champion du monde chinois qui est un des deux personnages principaux de l’album, c’était du pain bénit pour moi en tant que scénariste ! Je me retrouvais avec deux personnages complètement opposés, un jeune hippie américain ultra-individualiste au niveau médiocre, et un Chinois trentenaire, triple champion du monde chinois, forcé de servir d’étendard au communisme ! C’est parfait pour une bonne histoire, et en plus elle est véridique !
Dans la postface, vous avouez avoir arrangé la réalité et inventé un match entre Zedong et Cowan pour obtenir une meilleure histoire…
A. C’est venu assez naturellement, car je suis scénariste et pas historien, donc mon but est de raconter une belle et bonne histoire, pas de présenter simplement une succession de faits. L’histoire était plus belle si je prenais un peu de liberté avec les faits réels, mais je pense que j’ai respecté l’esprit de ce qui s’est passé pendant cette période incroyable. Je n’ai donc pas hésité longtemps à procéder ainsi, c’est venu tout naturellement.
Vous êtes vous-même pongiste. Avez-vous aidé Alain Mounier pour la représentation des scènes de match?
A. Oui, j’ai dû aider pas mal Alain qui ne joue pas du tout au ping-pong et méconnaissait d’ailleurs totalement les règles. Il avait même dessiné un joueur en train de reprendre une balle de volée, alors que c’est bien évidemment interdit au tennis de table (sourire). Pour l’aider, je lui ai fourni pas mal de vidéos, et de photos. Sur ces dernières, j’ajoutais des lignes de mouvement (une pour la raquette, une pour la balle) et je faisais une croix à l’endroit où l’impact de la balle avait lieu. Au début, il a eu un peu de difficulté à représenter des mouvements réalistes, mais il a vite progressé et s’en tire finalement vraiment bien. Il y a juste les rebonds des balles qui sont exagérément hauts, mais on a laissé, car ça donne un meilleur impact visuel. Tout comme j’ai un peu triché avec la réalité historique pour améliorer le scénario, il a un peu triché avec cet aspect-là pour améliorer le dessin.
Comme le font remarquer les Américains, le tennis de table n’est pas très médiatisé. Aviez-vous aussi envie de braquer les projecteurs sur ce sport?
A. Pas spécialement, mais tant mieux si ça donne à certains l’envie de découvrir ce sport. Ceci dit, en France pour l’instant, le tennis de table est de plus en plus médiatisé grâce aux frères Félix et Alexis Lebrun qui sont dans le top mondial. En Belgique, le tennis de table a connu un énorme engouement dans les années 90 car nous avons eu également deux frères de très haut niveau : Jean-Michel et Philippe Saive. « Jean-Mi » a d’ailleurs été champion d’Europe et numéro 1 mondial !
D’autres rencontres sportives ont permis de rapprocher des nations en conflit. Vous en parlez en postface. Cela ferait également de bons albums de bande dessinée? A. Oui, il y a eu par exemple le match de football entre les USA et l’Iran à la Coupe du monde 1998. Je pense qu’il y a du potentiel, car c’est l’occasion rêvée de marier la petite histoire (celle du match et des joueurs) à la grande (les relations internationales). C’est le genre de récits que j’adore. Dans un contexte légèrement différent, cela a d’ailleurs donné le très bon film « Invictus » qui raconte comment les Sud-africains ont pu se rassembler grâce au rugby après l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
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«La diplomatie du ping-pong» par Alcante et Alain Mounier. Delcourt. 23,95 euros.