MUSÉE

24h/24, le célèbre musée d’Orsay est vivant: les visiteurs le jour, les oeuvres qui s’animent la nuit. Un fascinant roman graphique qui questionne notre rapport à l’art.

L’idée lui est venue « devant les petites sculptures des parlementaires » du caricaturiste Honoré Daumier à Orsay. « J’ai eu l’impression qu’ils chuchotaient entre eux et racontaient des trucs chaque fois que je quittais la pièce », explique Christophe Chabouté, auteur de ce singulier « Musée ».
Sur 45 premières pages entièrement muettes, le lecteur plonge dans le quotidien du musée: dans la journée, les visiteurs aux profils hétéroclites déambulent dans les allées, s’arrêtent devant les statues de marbre et les tableaux de maîtres, posant sur eux tantôt des yeux admiratifs, tantôt un regard perplexe. La nuit, les salles sont désertes, hormis un homme avec un tableau sous le bras les traversant à un moment accompagné de son chien. Aucun son, aucun dialogue ne vient alors perturber cette lecture contemplative.
On aurait pu se lasser de cette longue partie si, à travers le très beau clair-obscur profond, quelques détails ne nous mettaient pas la puce à l’oreille: ici, il semble bien qu’un guerrier a posé son arc, là un éphèbe en marbre a l’air d’être assis au pied de son piédestal, là encore des toiles semblent bizarrement vides…
Car oui finalement, tout s’éclaircit en même temps que les dialogues savoureux font leur apparition: la nuit, le musée s’anime, les statues bougent et parlent, les personnages peints quittent leur cadre pour aller on se sait où. Dans le monde des oeuvres, certaines s’aiment (Anacréon d’Eugène Guillaume et La liseuse d’Henri Fantin-Latour), d’autres passent leur temps à se disputer (La jeune femme à la rose d’Amédeo Modigliani et le Mercure inventant le caducée d’Henri Chapu), cancanent (les Célébrités du juste milieu d’Honoré Daumier), s’interrogent sur ce qu’ils voient au dehors à travers les vitraux de la grande horloge (des gens dans des boîtes à roulettes ou l’oreille collée sur une autre boîte plus petite…) ou commentent sans tout comprendre les conversations des visiteurs entendues dans la journée. L’Héraklès archer d’Antoine Bourdelle lui se dirige, comme chaque nuit, tout droit vers les toilettes, source inépuisable d’interrogations sur leurs fonctionnements…
Avec « Musée », Christophe Chabouté (« Pleine Lune », « Purgatoire », « Yellow Cab ») signe ainsi un épais album de 192 pages plein de poésie au prestigieux casting d’oeuvres françaises du XIXe siècle qui nous invite à réfléchir sur notre rapport à l’art avec de la sensibilité et de jolis pointes d’humour.

Dessin et scénario: Christophe Chabouté – Editeur: Glénat – Prix: 23 euros.

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