L’HOMME QUI S’EVADA
Quand Albert Londres rencontre le bagnard Dieudonné à Cayenne…. Une formidable adaptation BD d’un ouvrage du grand reporter.
« L’homme qui s’évada » est d’abord un livre, celui écrit par le célèbre journaliste Albert Londres en 1928. C’est ensuite une bande dessinée réalisée par Laurent Maffre, un professeur de dessin dont c’est ici le premier album.
Fidèle au livre éponyme, Maffre raconte la rencontre du journaliste globe-trotter avec l’anarchiste Eugène Dieudonné, condamné au bagne de Cayenne à perpétuité pour avoir fréquenté d’un peu trop près la bande à Bonnot. On suit aussi surtout la dangereuse évasion du bagnard à travers la jungle jusqu’au Brésil puis son arrestation. Menacé d’extradition, il sera finalement gracié sur l’intervention d’Albert Londres. « L’homme de plume vient aider l’homme de peine » écrivit-on à l’époque.
Adapter des ouvrages du reporter n’est pas tâche aisée tant ils s’apparentent à des documentaires foisonnant d’informations. En 130 pages, Maffre réussit pourtant à concilier le récit d’une aventure et le violent plaidoyer contre le traitement infligé aux bagnards et l’iniquité du système judiciaire au début du XXe siècle. Hormis une ou deux scènes trop longues – comme le spectacle du carnaval au Brésil qui court sur plusieurs pages -, le récit est dynamique, parfaitement rythmé.
Et puis, par une foule de petites trouvailles graphiques, Maffre parvient à raconter beaucoup, sans noyer les planches sous le texte. Avec un dessin noir et blanc lorgnant du côté de Pratt ou Tardi, il transpose avec succès les portraits brossés par le journaliste. Des « trognes » d’hommes endurcis à la barbe hirsute, portant de multiples cicatrices et le corps couvert de tatouages.
Ces hommes, condamnés à tort ou à raison, on ne peut s’empêcher de les plaindre. Des forçats obligés de travailler pieds nus – voire totalement nus pour certains -, mal nourris et mal soignés. Des forçats qui une fois leur peine accomplie, n’en avaient pas fini pour autant: s’ils avaient été condamnés à une peine de travaux forcés de 5 à 7 ans, ils devaient ensuite rester le même nombre d’années en Guyane; pour une peine plus lourde, c’était la résidence perpétuelle sur cette terre inhospitalière.
Il en ressort un album passionnant qui, en plus, donnera certainement envie de découvrir les ouvrages d’Albert Londres si ce n’est déjà fait.