LES RACINES DE LA COLÈRE
Le quotidien de galère de huit familles de Denain, l’une des communes les plus pauvres de France à travers un roman-photo. un Prix de la bande dessinée d’actualité et de reportage mérité.
France Info vient de lui décerner son 26e Prix de la bande dessinée d’actualité et de reportage. Avec « Les racines de la colère », sous-titré « Deux ans d’enquête dans une France qui n’est pas en marche », Vincent Jarousseau ne nous propose pas une BD à proprement parler, hormis quinze premières pages dessinées par Eddy Vaccaro pour les flash-backs retraçant la vie d’avant, celle du Denain des années 1970 qui produisait 10% de l’acier français, puis celui des luttes sociales jusqu’à la fermeture du géant Usinor. Le reste, soit quelque 150 autres pages, est constitué d’un documentaire en forme de roman-photo qui raconte le quotidien de huit modestes familles de la petite ville industrielle de 20.000 habitants des Hauts-de-France, aujourd’hui l’une des plus pauvres de France: des chômeurs de longue durée et des précaires pour lesquels la mobilité est un vrai problème, des travailleurs du bâtiment ou des routiers obligés de sacrifier leur vie de famille.
« La photographie raconte le monde mais le seul moyen que j’ai trouvé pour restituer la parole de ceux que je photographie c’est de réutiliser les codes de la bande-dessinée, en utilisant des bulles dans lesquelles j’intègre leurs paroles enregistrées », a expliqué Vincent Jarousseau sur Franceinfo. A la manière d’un zoom sur cette « France qui n’est pas en marche », cette France des « invisibles » qui pendant plusieurs mois a alimenté le contingent des gilets jaunes, le photojournaliste retranscrit donc à la virgule près les propos de Loïc, Tanguy, Guillaume, Aline et les autres. Sans jugement. Vincent Jarousseau termine sa triste galerie de personnages par une lettre adressée au Président Macron: « Bien sûr, vous n’êtes pas, loin s’en faut le seul et unique responsable du mouvement [des gilets jaunes, ndlr] (…). Mais vos mots, l’injonction permanente à « s’adapter », à « bouger », à suivre le mouvement effréné du monde, votre mépris assumé des syndicats et des corps intermédiaires, votre dédain pour les derniers de cordée, ont conduit nombre de vos concitoyens à vous dire: « stop, on n’y arrive plus. » »
Deux ans après « L’illusion nationale », un précédent roman-photo de Vincent Jarousseau et l’historienne Valérie Igounet sur les communes gérées par le Front National, « ce livre est un prolongement de ce cri qu’il est impératif d’entendre ». Poignant.
Dessin et scénario: Vincent Jarousseau – Editeur: Les Arènes – Prix: 22 euros.