LE PETIT BLEU DE LA COTE OUEST
Il a délaissé l’imper de Burma le temps d’adapter le roman de Manchette, Tardi signe un album très réussi entre polar et chronique sociale des années 70.
C’est sans doute l’un des événements de la rentrée. Délaissant Nestor Burma, la Commune et les tranchées de 14-18, Tardi a choisi d’adapter un roman de Jean-Patrick Manchette décédé en 1995 et de rendre hommage à celui qui restera dans l’histoire littéraire comme le père du « néo-polar », ce roman noir empreint de critique sociale. Les deux hommes se connaissaient bien : ils avaient collaboré sur « Griffu », un récit sombre et violent paru en 1977.
« Le Petit Bleu de la côte Ouest », écrit en 1976, raconte la cavale de Georges Gerfaut – cadre commercial tranquille, marié avec deux enfants – qui se retrouve traqué par des tueurs à gages après avoir emmené un accidenté de la route à l’hôpital. Abandonnant femme, enfants et du même coup sa vie de patachon, Gerfaut va alors vivre caché dans la montagne pendant dix mois. Là, il prend soudain conscience du vide de son existence.
Sous ses airs de polar, l’album décrit en fait les désillusions des années 70, la révolution sociale qui n’a pas eu lieu, des personnages sans idéal et sans repères et le « malaise des cadres » révélé à cette époque. Et qui mieux que Tardi, adepte du réalisme social, aurait pu retranscrire un tel climat? Avec la sobriété de son trait en noir et blanc, il suit fidèlement le roman de Manchette. Contrairement à « Nestor Burma » et « Le cri du peuple » où il avait réécrit la prose de Jean Vautrin et Léo Malet, Tardi reprend ici au mot près le texte sec et coupant de l’écrivain. Côté décors, le Paris des années 70 n’est que peu détaillé mais du périphérique parisien à la forêt de la Vannoise, le dessinateur nous plonge d’un coup dans la grisaille de ce monde désenchanté. On s’y croirait. Alors quand Gerfaut boit son café en lisant France Soir qui évoque le défi des médecins à la Sécurité sociale et la Bd de Pichart « Blanche Epiphanie », ce sont toutes les années Giscard qui défilent devant nos yeux.
Le roman de Manchette avait été adapté au cinéma par Jacques Deray sous le titre « Trois hommes à abattre » avec Alain Delon. La version de Tardi vient éclairer l’ouvrage d’un nouveau regard et on n’y perd pas au change.