Nicolas Jarry : « Une femme exceptionnelle »
Pionnière du journalisme clandestin, l’Américaine Nellie Bly s’est notamment fait passer pour folle et interner pendant dix jours dans un asile psychiatrique. C’est cet épisode aussi passionnant que terrifiant que Nicolas Jarry a choisi de raconter dans ce nouveau tome de la série « Pionnières ».
Comment avez-vous découvert Nellie Bly ?
Nicolas Jarry. Par le biais de l’éditrice qui m’a proposé ce projet sur les femmes pionnières dans leur domaine. J’ai immédiatement accroché au personnage.
Sa vie tout entière mérite d’être racontée. Pourquoi avoir choisi cet épisode de l’asile ?
N.J. J’avais trois options : raconter la première partie de sa vie (avec son enquête en immersion à l’asile de femmes), raconter son tour du monde, ou faire une synthèse bibliographique. Le tour du monde en lui-même est passionnant, mais à condition de savoir qui est Nellie, d’où elle vient. Quant à faire la bibliographie d’une telle femme en une cinquantaine de pages, ça me semblait être un incroyable gâchis. On aurait été obligé de tout survoler, une sorte d’énumération sans âme…
La seule option possible était de faire deux albums, en commençant par son passage à l’asile, même si nous n’avons pas encore assurance de pouvoir faire le second tome. A minima, j’espère avoir donné aux lecteurs le goût d’en découvrir plus par eux-mêmes…
Pour raconter cette incroyable histoire, est-ce que vous vous êtes surtout basé sur ses articles ?
N.J. J’ai lu tout ce qui était disponible, c’est à dire pas grand-chose en définitive. Ses articles principalement, quelques témoignages, rares. Ses photos aussi. Ayant scénarisé de l’historique, c’était la première fois que j’avais ce lien visuel authentique avec la personne sur laquelle j’écrivais. J’ai pris du temps à « l’imaginer » au plus près de ce qu’elle pouvait être. Évidemment, je n’ai pas la prétention d’avoir vu juste sur tout, mais j’ai le sentiment de ne pas m’être trop éloigné d’elle, même si j’ai un peu romancé certaines parties de l’histoire à des fins surtout techniques.
Dans le cahier qui clôture cet album, vous expliquez que l’on ne peut « qu’esquisser les contours » de cette femme. Des épisodes de sa vie restent encore très énigmatiques ?
N.J. Je ne suis resté qu’en surface de sa personnalité, de sa psychologie. Dans ses articles, elle ne se confie pas. On ne connait d’elle que ses actes et ses engagements, non ses pensées profondes et intimes. Mais je ne dirais pas d’elle qu’elle était énigmatique. C’était une femme de son siècle et une femme exceptionnelle, donc difficile à appréhender dans son entièreté.
Nellie Bly était une féministe très engagée. Cela ne devait pas être très courant à la fin du XIXe siècle ?
N.J. C’est un sujet sensible et je ne suis sans doute pas le mieux placé pour en parler. Mais si je devais donner mon ressenti, c’est qu’elle était portée par une force, une passion et s’est retrouvée confrontée à une société d’hommes. On a tenté de la museler, comme on muselait les femmes de cette époque, par ignorance, par tradition. Donc tout ce qui en elle demandait à s’exprimer s’est érigé contre cette condition et par extension, elle en est venue à défendre toutes les opprimées de ce système patriarcal.
C’est aussi cet engagement qui vous a donné envie de raconter cette histoire ?
N.J. Non, ce n’était qu’une composante de son histoire, parmi tant d’autres. La limiter à ce combat féministe serait à mon avis trop réducteur.
Contrairement par exemple à l’adaptation de « Shutter Island » par Christian De Metter, qui se déroule également dans un asile, Guillaume Tavernier a dessiné des pages souvent lumineuses…
N.J. En vérité, c’est surtout dû à l’intervention du coloriste, Guillaume Lopez. Je dirais que de la lumière, il y en a partout, même dans les recoins où on ne pense pas toujours en trouver.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Pionnières, Tome 2. Nellie Bly » par Nicolas Jarry et Guillaume Tavernier. Soleil. 15,50 euros.