Laurent Galandon : « Les petites filles des radios pirates »

Si plus de 600 radios associatives diffusent aujourd’hui leurs programmes sur la bande FM, c’est grâce aux pirates de la radio qui ont bravé les interdictions de l’Etat à la fin des années 70. Avec « Interférences », Laurent Galandon raconte cette lutte parfois violente pour obtenir la liberté d’expression sur les ondes.

Quel rapport entretenez-vous avec la radio ?
Laurent Galandon. Un rapport assez classique d’un auditeur lambda. On m’avait proposé d’animer une émission quand j’ai commencé la BD en 2006. Comme j’avais signé mon premier contrat d’auteur, je ne me sentais pas d’émettre des avis sur les bandes dessinées de mes pairs. Avec cet album « Interférences », j’ai fait une expérience un peu alternative en réécrivant le scénario sous la forme d’une pièce de théâtre radiophonique qui a été enregistrée par des comédiens. Elle est accessible via un QR code publié en fin d’album.


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Vous aviez 8 ans en 1978 et n’avez donc pas vécu l’épopée des radios libres. Comment avez-vous découvert cette histoire ?
L.G. En écrivant « Lip, des héros ordinaires », qui raconte une lutte sociale emblématique, j’ai découvert que les ouvriers, à défaut de pouvoir passer sur les ondes qui étaient sous le monopole de l’État, enregistraient leurs revendications sur des cassettes magnétiques. Ils les diffusaient via les différents syndicats et comités d’entreprise. Ce n’était bien évidemment pas de la radio pirate, mais il y avait cette volonté militante de passer par le son pour revendiquer le droit à la parole. Quand j’ai parlé de cela avec Éric Barral, un des responsables de Radio Méga de Valence, il a fait le lien avec les radios pirates et m’a donné l’idée de cet album.



J’avais pour ma part déjà entendu parler de cette époque sans me douter à quel point la chasse aux émetteurs était aussi intense…
L.G. Cela a été progressif avec au départ simplement un brouillage organisé par TDF. Vu que cela n’a pas empêché le développement de nouvelles radios à travers toute la France, la loi Lecat, du nom du ministre de la Culture, a été promulguée. La police est alors entrée dans des poursuites, des arrestations, des réquisitions de matériel. Il y avait une peur de voir les ondes envahies par trop de prises de parole et une programmation musicale alternative.



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Vous avez rencontré beaucoup de protagonistes de l’époque ?
L.G. Pas tant que ça. Comme souvent, j’ai beaucoup travaillé sur documentation, à partir d’ouvrages ou de films de l’INA. J’en ai rencontré quelques-uns pendant la réalisation du livre puis après sa sortie. On avait un conseiller en la personne d’Alain Léger, qui a créé Radio Onz’Débrouille, une des radios pirates revendiquées et affirmées.



« Interférences » est aussi une belle histoire d’amitié. Est-ce que vos deux héros sont purement fictionnels ?
L.G. 
Ce sont vraiment des personnages de fiction. L’idée est de mettre en valeur le débat qui, dès les années 78/79, va animer le mouvement des radio libristes. Il y avait une tendance très politique et une autre plus musicale. On retrouvera ce débat à l’issue de la libéralisation des ondes en 1981. Est-ce que l’on fait une radio militante, indépendante et donc totalement dénuée de publicité ou une radio musicale avec de la publicité pour pouvoir exister et salarier des gens ? Pablo et Alban sont des sortes de projections de ces deux grandes tendances.

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C’est donc le côté plus « commercial » de Pablo qui a pris le dessus…
L.G. 
Complètement. Il y a eu une période un peu charnière entre 81 et 82, avec une totale liberté au niveau des ondes. Cela a donné lieu par exemple à Carbone 14, une radio extrêmement libre et libertaire. À partir de 1982 et de la répartition des ondes, des noms comme NRJ ou Skyrock vont s’installer avec des émetteurs extrêmement puissants qui vont leur permettre de dominer le paysage radiophonique en parallèle du groupe Radio France et des périphériques comme RTL ou RMC.



Est-ce que le souffle qui animait les premières radios libres existe encore aujourd’hui ?
L.G. 
Il y a un tissu de plus de 600 radios associatives qui travaillent un peu dans la continuité des radios pirates. Ce sont des radios de proximité qui font découvrir ce qui se passe sur leur territoire et effectuent un vrai travail de fond avec parfois le milieu scolaire, associatif ou carcéral. Beaucoup de ces radios sont un peu les petites filles des radios pirates.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Interférences » par Laurent Galandon et Jeanne Puchol. Dargaud. 17,99 euros.

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