Aurélien Ducoudray: « Emmener cette histoire vers du fantastique »

De l’histoire vraie de la ville de Pripyat, totalement évacuée après l’explosion du réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, Aurélien Ducoudray livre un récit surprenant où des hommes retournent dans la zone contaminée pour exterminer les chiens errants. De mystérieux personnages en combinaison vont cependant venir bouleverser l’intrigue des « Chiens de Pripyat ».

chiens.jpgC’est le livre « La supplication », prix Nobel de littérature en 2015, de Svetlana Aleksievitch, qui vous a donné envie d’écrire cette histoire. Le pitch des « Chiens de Pripyat » est venu presque instantanément ?
Aurélien Ducoudray. Dans le livre, cette histoire de chiens ne représente peut-être même pas deux pages. Ce qui m’a choqué dans ce témoignage assez court, c’est que le type allait là-bas pour tuer des animaux qui étaient censés être contaminés et revenus à l’état sauvage, donc une vraie menace, et qu’il se retrouvait face à des chiens amicaux qui venaient lécher le canon de son fusil, car ils étaient heureux de voir des humains. Tout de suite, je me suis dit que c’était le prisme par lequel aborder ce problème complexe que sont Tchernobyl et Pripyat. C’est une entrée en matière parfaite.



Vous aviez déjà pensé écrire un livre sur Tchernobyl ?
A.D. Pas du tout. C’est vraiment le hasard de cette rencontre avec ce témoignage et la force des livres de Svetlana Aleksievitch. Je les ai tous lus et adore ce mélange de journalisme très poussé avec cette forme littéraire incroyable.

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Avez-vous approfondi vos connaissances sur cette zone contaminée via d’autres sources ?
A.D. J’ai lu plein de bouquins et beaucoup de livres de photos. J’ai aussi regardé des documentaires et même quelques fictions qui n’étaient pas toujours très bonnes, mais tout de même intéressantes. Je cherchais vraiment des témoignages.



Quand vos personnages entrent dans Pripyat, on a l’impression de plonger dans un récit post-apocalyptique à la « Walking Dead ». Sauf qu’il s’agit de la réalité…
A.D. C’est vrai, sauf que Prypiat a existé bien avant « Walking Dead » (sourire). L’idée est de partir d’un truc très journalistique et de l’emmener vers du fantastique. Le film Stalker d’Andreï Tarkovski m’a marqué pour écrire cette histoire.

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Alors que la plus grande partie du récit semble très documentaire, des personnages en combinaison apparaissent à plusieurs reprises et semblent emmener votre histoire vers une autre dimension ?
A.D. Dans ce premier tome, on pose la situation et les personnages. On essaie de voir comment on survit à Pripyat. Le second tome sera très différent avec l’exploration et un côté plus fantastique, même si cela ne le sera pas tant que cela. On découvrira le Pripyat et le Tchernobyl un peu plus secret où plein de gens continuent à vivre. Ce qui va aussi montrer l’attachement à une terre même contaminée. 



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Pourquoi introduire ce petit côté fantastique ?
A.D. J’ai fait du journalisme en presse écrite et comme photo-reporter. J’étais parfois limité par la réalité. En décalant un peu le regard via du fantastique, on arrive à raconter bien d’autres choses, à toujours parler de la réalité, mais avec un rapport différent. Pour le lecteur, c’est aussi un petit échappatoire sinon il étoufferait. Ouvrir un livre qui se déroule à Pripyat n’est pas facile. Je remercie d’ailleurs l’éditeur de prendre ce risque, car on n’a pas forcément envie de passer sa pause BD à Tchernobyl !



Quand on traite d’une catastrophe nucléaire comme Tchernobyl, c’est forcément pour mettre en avant des considérations écologiques ?
A.D. Je ne suis pas du tout allé dans ce domaine-là. Je voulais juste amener cinq personnages dans un endroit où les règles sont complètement abolies pour faire quelque chose de très concret. 



chiens-de-pripyat4.jpgComme dans beaucoup d’histoires de la collection Grand Angle de Bamboo, des enfants occupent une place importante. Qu’est-ce que ce choix apporte au récit ?
A.D. La vision de l’enfant est brute. Il n’a pas forcément de jugement. Son regard complètement vierge m’intéressait. Kolia déboule là-bas sans a priori et découvre à la dernière page de nouveaux copains de jeux qu’aucun adulte n’aurait rejoints.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)



« Les chiens de Pripyat, tome 1 » par Aurélien Ducoudray et Christophe Alliel. Bamboo, collection Grand Angle. 13,90 euros.




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