Vincent Brugeas: « Pourquoi faire du shérif de Nottingham un méchant ? »
Avec « Nottingham », Vincent Brugeas et Emmanuel Herzet réécrivent l’histoire de Robin des Bois avec un angle très original. C’est en effet le shérif de Nottingham qui prend les armes pour organiser la résistance face au prince Jean. Ce formidable premier tome réserve d’autres surprises tout aussi surprenantes.
Quels étaient vos souvenirs de Robin des Bois?
Vincent Brugeas. Enfant, je fuyais les dessins animés et tous les médias destinés exclusivement aux enfants (que je découvre plus volontiers aujourd’hui, en famille… en grandissant, je suis devenu bizarrement moins sectaire). Ainsi, Disney n’a absolument pas forgé ma culture « sherwoodienne » pour reprendre une expression d’Emmanuel. Né en 1985, c’est le film « Robin des Bois, prince des voleurs », de Kevin Reynolds avec Kevin Costner, qui m’a marqué. Robin des Bois ne m’intéressait pas plus que ça, mais j’aimais particulièrement tous les films qui me permettaient de me plonger dans une période historique, dans un Moyen-âge, même de pacotille, pourvu que ce soit avec des vrais acteurs : Braveheart, Willow…
Qu’est-ce qui vous a donné envie de rebattre les cartes de cette légende?
V.B. Nous ne serions jamais allés vers Robin des Bois sans ce pitch. Avec Emmanuel Herzet, mon coscénariste, nous travaillions ensemble depuis 2015. Nous nous voyons une fois par semaine sur Skype. Après notre série « La Cagoule » parue chez Glénat, nous avons cherché un nouveau sujet à explorer. Emmanuel me dit alors qu’il avait envie de parler de Robin des Bois, mais en prenant le point de vue du shérif, afin de montrer qu’il n’était pas si mauvais que cela. Je lui ai répondu du tac au tac : « Et pourquoi ça ne serait pas lui, Robin des Bois ? ». C’était un peu une boutade mais nous nous sommes vite rendu compte que l’idée n’était pas si idiote. Elle était surtout prometteuse. La réaction de Mathias Vincent du Lombard a fini de nous convaincre.
Pourquoi faire du shérif un gentil?
V.B. La vraie question, c’est surtout: pourquoi en faire un méchant ? Cela ne va pas de soi. Que le prince Jean soit souvent décrit comme mauvais, cela se comprend. Beaucoup de témoignages de l’époque ou même ses biographies les plus récentes, plus clémentes, peinent à le réhabiliter. Il a été un roi assez pitoyable pour l’Angleterre et a une réputation exécrable. Cela explique sûrement son rôle néfaste dans la légende de Robin de Bois, face à un Richard présenté comme un parangon de vertu (ce qui est tout aussi faux en passant). Il a existé un shérif de Nottingham prénommé William à l’époque. Cependant, c’est un illustre inconnu, nous n’avons pas trouvé grand-chose sur lui. Cependant pourquoi serait-il aussi méchant ? Dans les faits, il représente juste l’Etat et est censé faire appliquer la justice. Nous voulions aussi montrer son rôle en tant que sherif. C’est très différent du Far-West (sourire).
Cela veut dire que vous avez cherché à vous rapprocher le plus possible du contexte historique?
V.B. C’est d’abord un contexte que je connais très bien car je l’ai déjà utilisé dans « Le Roy des Ribauds ». Ensuite, la légende de Robin des Bois doit beaucoup à son contexte historique. De la même façon que le combat de Zorro éclaire les conflits entre les péons et les grands propriétaires terriens en Californie. Robin, lui, existe parce que le roi Richard Cœur de Lion, légitime et populaire, est fait prisonnier loin de son royaume, une situation plutôt exceptionnelle dans l’Histoire. Nous ne pouvons pas nous passer de ce contexte historique. Nous avons aussi voulu montrer, et c’est plus le rôle du personnage de Marianne, qu’il y avait aussi un besoin de justice. Cela illustre et souligne le côté universel de la légende. Cartouche, Guillaume Tell, le besoin de justice n’a pas d’époque. Et ce n’est pas l’actualité qui démentira cette assertion.
Lady Marianne est en effet très différente du personnage habituel. On l’imagine même endosser ce rôle de Robin des Bois…
V.B. Attendez un peu le tome 2 (sourire). Pour que le shérif soit Robin des Bois et que cela marche, il fallait créer des doublures. C’était impossible autrement. Il ne peut pas être à deux endroits en même temps. Cela peut en plus être un atout puisque les témoins ne seront jamais d’accord sur sa silhouette. Nous allons d’ailleurs en jouer dans le tome 3. Ensuite, même si le contexte historique peut pousser un shérif à se faire hors la loi, ce n’était pas suffisant. Il fallait un déclic. C’est Marianne.
Il était important d’offrir une histoire neuve au lecteur, afin de pouvoir réellement le surprendre?
V.B. C’est un peu cela. Nous nous sommes rendu compte qu’il y autant de Robin des Bois que d’auteurs qui ont écrit son histoire. Même Alexandre Dumas s’est attaqué au personnage. Il n’y a pas une seule version, mais des personnages en commun et d’autres qui ont disparu. La liste de ses compagnons est aussi différente selon les versions. C’est donc un personnage qui a énormément de visages. Ce qui nous amusait le plus, c’était de transformer cette légende avec un nouvel angle et d’être en effet un peu original. Notre pitch amène plein de questions auxquelles nous allons répondre petit à petit.
Cela rend votre série plus actuelle…
V.B. Oui, dans le sens où j’aime que les personnages ne soient jamais blanc ou noir mais toujours très gris. Aujourd’hui, les personnages très manichéens passent moins bien. Je dirais donc plus que c’est une remise au goût du jour. Le film « Robin des Bois, prince des voleurs » le faisait déjà par ailleurs. Kevin Costner jouait Robin de Locksley, un noble désinvolte qui se fichait bien du sort des paysans et voulait surtout venger la mort de son père. Il se battait avant tout pour lui.
Il existe une dimension politique dans cette légende de Robin des Bois. C’est aussi quelque chose qui vous intéressait de développer?
V.B. Tout à fait. Le personnage répond à des problématiques sociales qui sont encore largement d’actualité. Nous ne voulions pas d’un héros qui enchaîne les braquages et les cascades entre deux réparties vers un méchant de pacotille. Nous voulions aller plus loin. D’ailleurs, Robin des Bois est politique dès le départ. Faire du shérif un monstre n’est pas anodin. La légende était là pour parler d’une remise en cause de l’Etat et de ses violences et de ses taxes… dès que ce dernier devient injuste et illégitime en la personne du Prince Jean. C’est un thème très actuel. D’ailleurs, en 1215, les nobles et bourgeois anglais renverseront le roi Jean et l’obligeront à signer la Grande Charte, qui garantit pour la première fois, les droits de ses sujets… Tout un programme.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Nottingham – Tome 1. La rançon du roi » par Vincent Brugeas, Emmanuel Herzet et Benoît Dellac. Le Lombard. 14,75 euros.