Simon: « Un grand jeu à tiroirs »

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Projet transmédia, avec sa version web et ses multiples dérivés, « MediaEntity » est d’abord une bande dessinée qui se suffit à elle-même. Son scénariste Simon résume le « pitch » de ce prometteur thriller d’anticipation puis évoque les autres supports qui permettront d’explorer autrement l’univers de la série.

Pourquoi une série sur les réseaux sociaux ?
Simon. « MediaEntity » est moins une série sur les réseaux sociaux qu’une série sur les médias. Ce qui nous intéresse, c’est de voir à quel point notre accès à la réalité se fait aujourd’hui par l’intermédiaire des médias et quelles conséquences cela peut avoir sur notre quotidien, et sur notre rapport aux autres. Dans cette idée, évidemment, les réseaux sociaux prennent une grande place.

Est-ce une manière de mettre en garde vos lecteurs ? Quel rapport entretenez-vous avec ces réseaux ?
S. Même si certains personnages tiennent un discours paranoïaque vis-à-vis du réseau, nous n’avons personnellement pas d’avis tranché là-dessus. Une technologie n’est ni bonne ni mauvaise en soi. On peut citer autant d’effets positifs que d’effets négatifs à l’émergence d’internet. Pour ma part, j’essaye d’avoir une consommation raisonnable d’informations, parce que c’est adictif, et que ça m’empêche parfois de me concentrer.



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Dans quelle mesure cette notion de double sous forme d »Entité numérique vous semble plausible ?
S. « MediaEntity » part de l’idée qu’aujourd’hui tout le monde laisse des traces de soi sur internet. Ces traces constituent notre identité numérique, qu’on appelle dans l’histoire notre « Entité ». Au moment où commence MediaEntity, nos Entités sont devenues tellement importantes et tellement complexes qu’elles s’autonomisent et agissent toutes seules sur le réseau. Elles prennent vie et deviennent incontrôlables. C’est alors que l’on voit apparaître sur internet de fausses photos ou vidéos de nous, que nos profils se mettent à agir à notre place,… Le double est une figure classique. Il n’est pas spécialement plausible sur un plan scientifique. Mais c’est une thématique littéraire récurrente. Du Portrait de Dorian Gray à la Caverne de Platon, le rapport que l’on entretient avec sa propre image, qui est comme un autre soi, a toujours été un motif fertile pour l’imaginaire.



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Un mouvement de résistance s’organise contre ce vaste réseau MediaEntity. Avez-vous été influencé par certaines œuvres pour imaginer cette partie de l’intrigue ?
S. La résistance est un puissant moteur dramatique qui est utilisé dans beaucoup de sagas (« Star Wars », « Matrix », « Le seigneur des anneaux »…) et qui résonne en nous parce qu’on est toujours en train de résister à quelque chose. Mais s’il y avait une œuvre en particulier à citer en référence, ce serait probablement le groupe de résistants dans « Les fils de l’Homme », des résistants plus réalistes qu’héroïques.



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On devine une certaine violence chez ces résistants. Est-ce une manière de parler de terrorisme ?
S. Le terrorisme est un mot difficile à manier. L’article de Wikipédia sur le terrorisme dit que personne ne parvient à s’accorder sur une définition précise, car toute définition de ce concept ne peut être qu’orientée politiquement. Il y aura de la politique dans la suite de « MediaEntity », mais pas de message politique.

Dans ce premier tome, le personnage principal Éric Magoni subit tous les évènements et semble justement à l’opposé des résistants. Vous vouliez confronter ces deux mondes ?
S. Tout à fait. Éric est un personnage qui pense tout maîtriser. Travail, vie de famille,… On voulait dans ce premier tome lui faire perdre chacun de ses repères pour le forcer à se confronter à l’inconnu et à un univers dans lequel il est complètement démuni. Je ne vous en dis pas plus sur les résistants, mais cette confrontation des deux mondes va se poursuivre dans les tomes suivants.

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On peut également lire une critique du monde financier ou même d’une forme de journalisme qui subit l’information. Ce sont des thèmes qui font eux aussi de plus en plus souvent débat…
S. Le but n’est pas de critiquer le monde financier ou le monde du journalisme. Mais ce qui est certain, c’est que dans ces deux milieux, les individus sont traversés de quantités astronomiques d’informations. Et on leur demande sans cesse de repousser leurs limites à gérer ces infos. Par exemple, les traders raccourcissent le fil de leur souris pour que le temps de latence entre le moment où ils cliquent et le moment où le clic est pris en compte par l’ordinateur soit le plus court possible. Les smartphones et bientôt les lunettes en réalité augmentée tendent à faire de nous des assimilateurs d’infos toujours plus performants. Et c’est ça qui nous intéresse. Comment gère-t-on cette pression invisible et permanente ?

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Avec « MediaEntity », vous parlez de turbomedia. C’est quoi ?
S. La version turbomédia est la version numérique de la BD à consulter librement sur mediaentity.net. Le turbomédia est un mode de lecture inventé par Balak (l’un des coauteurs de « Last Man ») qui permet une narration BD très dynamique, et parfaitement adaptée à la lecture sur écran.

Est-ce que le lecteur peut se satisfaire de la version papier ou va-t-il passer à côté de quelque chose ?
S. Le lecteur peut tout à fait se satisfaire de la BD. On a construit « MediaEntity » comme un grand jeu à tiroirs, où chaque segment d’histoire peut-être appréhendé séparément. C’était très important pour nous que la bande dessinée se suffise à elle-même. C’est notre principal support, et c’est elle qui guide tout le reste. Les autres modules, sur le web ou dans la réalité sont destinés à ceux qui veulent prendre de l’avance sur l’histoire.
Pour revenir à la BD papier, quatre tomes sont prévus.


L’album propose des contenus exclusifs en réalité augmentée. En êtes-vous satisfait ?
S.
Nous sommes assez contents des possibilités de la réalité augmentée. Le rapport papier/numérique est passionnant à explorer par rapport à notre sujet de l’identité en ligne. La technologie a encore quelques progrès à faire pour être parfaitement ergonomique, mais c’est déjà assez impressionnant pour nous donner envie de nous amuser avec. Mais pour ceux qui ne peuvent pas y accéder, ça ne pose strictement aucun problème pour suivre la BD. La réalité augmentée est un de ces tiroirs que l’on peut ouvrir si l’on en a envie.

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Il me semble que les comptes Facebook et Twitter ne sont pour le moment utilisés que pour promouvoir la série. Est-ce que cela va évoluer ?
S. C’est vrai que ça serait intéressant de jouer sur les réseaux sociaux. On utilisait avant la page Facebook pour mettre l’internaute dans l’ambiance. Mais on ne maîtrise plus trop depuis que l’on doit passer par un compte Facebook de l’éditeur pour administrer la page de « MediaEntity ». C’est ainsi depuis la fermeture de mon compte personnel par Facebook. J’avais mis une date de naissance au hasard, et depuis, il m’est impossible de prouver que je suis bien moi pour accéder à nouveau à mon compte. C’est assez amusant vu l’histoire qu’on raconte ! Mais pour interagir avec les lecteurs, il y a d’autres outils : un répondeur téléphonique et une adresse mail caché dans la réalité augmentée de l’album ou encore s’inscrire aux jeux de piste depuis le site internet.

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Il y a de nombreux projets parallèles (jeux de piste, jeu de rôle, recueil de nouvelles, web-série vidéo à tourner soi-même). Êtes-vous à l’initiative de tous ?
S. Oui, on développe tout nous-mêmes, sur le temps libre que nous laisse la BD. C’est un peu du transmédia « fait à la maison » ! Mais on s’amuse beaucoup ! Les idées coûteuses sont laissées de côté pour le moment car tout le côté transmédia est réalisé sans aucun financement. Le projet a beaucoup changé de forme au cours des années, et changera encore probablement beaucoup avec les retours des lecteurs et au gré des rencontres. Tout ceci est très expérimental, mais enthousiasmant !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« MediaEntity. 01 » par Emilie et Simon. Delcourt. 13,95 euros.

La chronique de l’album

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