Romain Renard: « Continuer à explorer Melvile »

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Subtil thriller intimiste sur un écrivain en panne d’inspiration, l’histoire de Samuel Beauclair est le premier volet d’un projet centré sur cette mystérieuse ville imaginaire de Melvile. Son auteur Romain Renard propose déjà plusieurs contenus additionnels, dont une bande-son originale.

Cette ville de Melvile semble tout droit sortie de « Twin Peaks ». Est-ce une référence pour vous ?
Romain Renard. Le « Twin Peaks » de Lynch fut un de mes premiers chocs visuels. J’avais 18 ans quand « Fire walk with me » est sorti en salles. melvile-2.jpgSa vision m’avait à l’époque bouleversé et il est certain que quelque part en moi, la force évocatrice et fantasmagorique résonne toujours. Mais maintenant, ce qui me nourrit le plus est à voir dans la littérature. John Irving, Larry Brown, James Lee Burke, chez certains photographes comme Grégory Crewdson, voire des cinéastes comme Sean Penn ou Terrence Malick.

Vous racontez l’histoire d’un écrivain en mal d’inspiration. Avez-vous déjà été confronté à ce syndrome de la page blanche et est-ce que vous le craignez ?
R.R.
Je le crains toujours. Pour chaque histoire, se pose toujours le moment de doute, la remise en question totale de son histoire. Mais, c’est salvateur. Le doute est indispensable. Il serait très dangereux de se sentir juste dès le premier jet. C’est le doute qui nous permet de nous dépasser et le doute amène inévitablement à certaines journées blanches.

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Chaque chapitre s’ouvre sur un texte très littéraire. Il était important de rapprocher le fond et la forme ?
R.R. Je considère le dessin comme une écriture à part entière. Mais pour ce livre, j’avais envie de pousser le texte aussi loin que le dessin et par la confrontation du texte et du dessin, de sous-entendre un troisième discours invisible mais présent.

Comme dans la légende qui raconte le mythe fondateur de la ville, Samuel Beauclair doit tuer le père pour trouver sa voie. C’est une thématique qui vous parle ?
R.R. C’est une thématique assez universelle. Chaque homme un jour ou l’autre dans sa vie est confronté à la figure paternelle, à son héritage. Tuer le père (de manière symbolique), c’est avant tout naître en tant qu’homme, en tant qu’adulte, maître de ses propres choix, maître de son propre chemin.

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Comment avez-vous travaillé graphiquement ? Certains paysages sont troublants, car proches de la photographie ?
R.R. Toutes les planches sont dessinées à l’encre et au fusain. J’ai testé cette technique pour la première fois en travaillant sur les illustrations du guide « Lonely Planet » sur Montréal (éditions Casterman). Le fusain me permet de jouer sur les flous, les arrières plans, il m’aide aussi pour tout ce qui est minéral, organique… C’est vrai que l’on peut avoir la sensation d’une photo mais c’est parce que j’utilise les particularités techniques de ce médium. Mes personnages par exemple sont souvent plus nets, plus découpés par rapport au décor, à l’arrière-plan. L’envie était de rendre la sensation que mes personnages ne font que passer au travers d’un décor, d’un lieu immuable, qui a existé et existera bien longtemps après leur passage.

« Melvile » propose du contenu supplémentaire via une application de réalité augmentée. C’est quelque chose de récent et de neuf dans la BD. Cela vous excitait?
R.R. Totalement! À la base du projet, il y a la musique. Nous voulions intégrer une bande-son, la bande originale du livre, et quelle soit entièrement composée à cet effet. Et plus nous en parlions, plus l’envie d’ajouter d’autres médias s’est imposée. La photo, la vidéo, des illustrations inédites, tous ces éléments qui pouvaient élargir l’univers, le compléter… Et puis la réalité augmentée nous fut suggérée avec alors la possibilité de réunir tous ces médias différents dans un seul livre.

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En scannant les pages de chapitre avec un iPad, il est ainsi possible d’écouter la bande-son de l’album. La musique est indissociable de votre travail ?
R.R. La musique fait partie de ma vie tout autant que le dessin. Si je n’avais pas réalisé cette bande originale pour ce livre, j’aurais quand même fait de la musique et celle-ci aurait été assez proche de la bande-son actuelle, car elle est représentative des ambiances, des humeurs que j’ai envie de rendre, d’exprimer. Associer ma musique et mon dessin était donc, d’une certaine manière, une évidence pour moi. Je précise également que la musique ne s’écoute pas en scannant les pages (contrairement à ce qui est indiqué dans le livre) mais via le player intégré dans l’application offerte.

Pour ceux qui, comme moi, n’utilisent pas de produits Apple, pouvez-vous nous en dire davantage sur cette bande-son ?
R.R. Les personnes n’utilisant pas de produits Apple peuvent bien évidemment écouter la musique ! On ne frustre personne. Elle est disponible sur Deezer, Spotify et si vous voulez emporter le disque, elle est téléchargeable sur iTunes pour une somme relativement modique. 

Maintenant, pour la musique en elle-même, disons que je me suis inspiré des bandes-son, des musiques qui ont formé mes goûts depuis toujours. Cela passe par les ambiances romantico-blues d’Angelo Badalamenti (le compositeur de la musique de « Twin Peaks ») mais aussi de John Carpenter, Giorgio Moroder voire Roy Orbison. C’est une musique d’atmosphère. J’avais d’ailleurs réalisé un montage vidéo de mes planches pour m’aider à composer. Comme pour une musique de film, j’avais les images qui défilaient devant moi, il ne me restait plus qu’à replonger et prolonger leur atmosphère.

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N’est-ce pas un problème de priver une partie des lecteurs de tout ce contenu additionnel ?
R.R. Une fois encore, on essaie de ne priver personne. Il est évident que si nous avions réalisé une application compatible avec toutes les tablettes, nous triplions le budget. Nous avons dû faire un choix. Mais les contenus principaux restent accessibles à tout le monde. Tous les contenus de réalité augmentée sont disponibles sur tout type de tablettes. Il suffit de se rendre sur le site Melvile.com et de suivre les instructions.

Melvile va continuer à exister via d’autres projets. Est-ce que c’était prévu dès le départ ou vous êtes-vous attaché à cette ville ?
R.R. Oui, j’aimerai continuer à explorer la ville. Comme dans chaque ville, il y a beaucoup de choses à raconter. Chaque habitant à sa propre histoire, son propre passé, ses propres relations. Les prochaines histoires se dérouleront en parallèle avec celle de Samuel Beauclair (d’où le sous-titre, l’histoire de Samuel Beauclair). Elles seront toutes racontées sur le même laps de temps que la première, si bien qu’au bout du compte, par les différentes histoires, nous aurions une cartographie du lieu, tant géographique que sensorielle. Cette envie était inscrite dès l’origine du projet. D’ailleurs certains personnages tenant des rôles secondaires dans ce récit pourront très bien avoir une histoire propre à eux. C’est le cas par exemple des deux enfants qui volent dans une épicerie en début d’album, puisqu’ils feront l’objet d’un livre autour de leur histoire.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Melvile » par Romain Renard . Le Lombard. 19,99 euros.

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La chronique de « Melvile »

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