Raoul Cauvin: « Notre vie d’auteurs de BD »
Parus en album de 1977 à 1995, les sept tomes de la série « Pauvre Lampil » étaient aujourd’hui presque introuvables. Les Editions Dupuis ont réparé cette injustice en publiant une superbe intégrale. De quoi ravir le scénariste Raoul Cauvin.
Comment avez-vous accueilli la publication de cette intégrale ?
Raoul Cauvin. C’est une grande satisfaction. C’est vrai qu’à l’époque, cette série n’a pas eu le succès escompté, mais on se rendait aussi compte lors des festivals que beaucoup de gens la regrettaient. On nous la réclamait sans cesse.
Malheureusement, les albums étaient en rupture de stock depuis longtemps. À présent, le public aura les sept albums en un seul.
Vous parlez d’autofiction en ce qui concerne les gags de Lampil alors que le dessinateur Lambil nie toute ressemblance avec la réalité. Qui doit-on croire ?
R.C. Nous racontions notre vie d’auteurs de BD. Nos divergences de vues, nos caractères, nos anecdotes, tout y passait et même nos entrevues avec l’éditeur, ce qu’il n’appréciait pas toujours. Pourtant, nous ne faisions que raconter la stricte réalité. Un jour, après la parution d’un gag, j’ai même été convoqué chez monsieur Dupuis. Pas content qu’il était. Mais, comme l’histoire ne racontait que la stricte réalité de notre entrevue, il a fini par en rire. Il m’a juste dit que ce qui se passait entre nous ne devait pas être révélé au grand public.
Et concernant Lambil ?
R.C.
Lambil, c’est Lambil. Un véritable pro dans le métier. Mais, s’il ne râlait pas, ce ne serait pas Lambil. Je vais vous raconter une petite anecdote. Dernièrement, il m’a téléphoné en regrettant que cette série n’existe plus, car il avait encore des choses à raconter. La dernière en date, c’était une histoire entre La Poste et lui au sujet d’un recommandé qu’on refusait de lui transmettre, car la sonnette était trop éloignée du doigt du facteur. Une histoire authentique. Pour la réponse à votre question, je vous laisse juger…
Comment cette série a-t-elle accueilli par les personnes de votre entourage qui se sont retrouvaient dessinées dans Lampil ?
R.C. Les personnes reprises dans la série étaient aux anges. Ça, je peux vous le garantir ! Aussi bien le boucher et le pharmacien que nos épouses.
Dans « Pauvre Lampil », on a l’impression que les auteurs de BD sont obsédés ou tout au moins très préoccupés par le succès de leurs séries. C’est le cas ?
R.C. N’importe quel auteur qui crée sa série vise le succès. Que ce soit un écrivain ou un comédien, chacun vise à être reconnu. Prétendre le contraire serait mentir. J’ai réalisé pas mal de séries. À chaque fois, j’espérais la reconnaissance du public. Malheureusement, ce ne fut pas toujours le cas et croyez moi, je le regrette.
Vous avez déclaré que vous aviez choisi un auteur raté comme personnage principal pour vous moquer de certains auteurs qui se prennent pour des artistes. Vous n’avez pas l’impression d’être un artiste ?
R.C. Un artiste ! Mon Dieu, quel grand mot ! Non, je ne me considère pas comme un artiste. Simplement comme n’importe quel mec qui fait son boulot en espérant gagner sa vie. J’ai d’ailleurs une sainte horreur des mondanités. La coupe de mousseux dans une main, un amuse-gueule dans l’autre, les interviews, la télé, ce n’est pas du tout ma tasse de thé ! Mais bon, il faut bien y passer parfois. Je préfère de loin la franche camaraderie et les éclats de rire entre nous.
Vous avez écrit « Lampil » en parallèle des « Tuniques bleues ». Quelle était la place de cette série ?
R.C.
À l’époque, nous ne savions pas encore que la série des « Tuniques bleues » marcherait aussi bien. Alors, nous nous donnions un peu d’air en faisant autre chose. Un jour, un rédacteur nous a demandé d’arrêter la série. C’est ce qu’on a fait. La reprendre maintenant ? Non, car les Tuniques bleues ont pris beaucoup d’ampleur et nous prennent tout notre temps. Il nous arrive parfois d’en refaire un pour un numéro spécial, mais ça s’arrête là. Le passé c’est le passé. On ne revient pas dessus.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
« Pauvre Lampil » (Intégrale) de Raoul Cauvin et Willy Lambil. Dupuis. 39 euros.