Rabaté: « Ce n’est pas parce que les choses sont violentes ou tristes qu’il faut les exprimer avec violence ou tristesse »

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Dans « Un petit rien tout neuf avec un ventre jaune », Pascal Rabaté aborde avec beaucoup de subtilité le thème délicat de la dépression.

Avec « Un petit rien tout neuf avec un ventre jaune » paru chez futuropolis, il est question d’un vendeur de farces et attrapes déprimé qui va retrouver goût à la vie grâce à une acrobate de passage dans sa ville. En jouant sur les paradoxes, l’auteur des « Petits ruisseaux » réussit un nouveau coup de maître, à la fois drôle et émouvant.

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Dans le dossier de presse de cet album, vous racontez que vous avez rencontré le personnage principal lorsque vous étiez étudiant. Est-ce que vous saviez déjà que vous l’utiliseriez un jour dans l’une de vos histoires et pourquoi avoir attendu si longtemps ?
Pascal Rabaté. Je l’ai effectivement rencontré à l’époque où j’étais étudiant, mais sans savoir du tout qu’un jour, il deviendrait le personnage d’un de mes récits en bande dessinée. D’une façon générale, les choses rentrent dans mon cerveau, sans que j’en aie forcément conscience, et y restent, endormies, dans l’attente d’être exploitées, ou pas… C’est lorsque le besoin s’en fait sentir, à l’occasion de l’écriture d’un scénario, qu’elles réapparaissent, parfois à ma plus grande surprise. Ce n’est pas moi qui décide, ce sont elles qui s’imposent pour répondre à mes besoins.



La soirée costumée, « Intervilles » à la télé ou le restaurant « Le cochon qui rit »: c’est en quelque sorte la bonne humeur qui s’acharne sur Patrick ?
P.R. Je dirais plutôt que c’est ma bonne humeur qui s’acharne sur Patrick. Je raconte sa dépression avec un regard amusé. Ce n’est pas parce que les choses sont violentes ou tristes qu’il faut les exprimer avec violence ou tristesse. La vie en donne l’exemple d’ailleurs : il ne fait pas forcément un temps pourri lors d’un enterrement…
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Tout au long de l’album, on jubile à la découverte de trouvailles graphiques ou narratives (le dessin du cirque en reflet dans l’eau, l’épisode du frère de Patrick à Intervilles ou le baiser entre Johnny Hallyday et Nicolas Sarkosy). Comment naissent ces scènes ?
P.R. Ce style de « trouvailles » comme vous les appelez, est le fruit d’un travail volontaire, de réflexion. J’ai l’esprit d’escalier et au détour d’une marche, je ramasse la bonne idée, la belle anecdote ou la séquence indispensable. Ce que je note dans mes carnets, alimente plutôt mes textes, en particulier mes dialogues, pas mon scénario.

Est-ce difficile d’accrocher le lecteur en racontant la vie de gens ordinaires ? C’est un défi plus difficile que d’adapter « Ibicus »?
P.R. Chacun est différent ; chacun a ses avantages et ses difficultés. Je ne fais pas des albums pour « accrocher le lecteur ». Je ne fais pas mon métier comme je vais à la pêche ! Comme je n’aime pas travailler dans la douleur, je suis avant tout mon instinct, mes envies, mon humeur du moment. Pour « Ibicus », j’avais envie de me glisser dans les habits d’un autre. Une expérience que je n’avais encore jamais tentée et l’enthousiasme que j’ai ressenti à la lecture du roman m’en a donné l’opportunité.


Au milieu du livre, on a clairement l’impression que l’on ne peut « vivre » sans amour. Puis, tout est remis en cause dans l’épilogue…
P.R. Finir sur une note optimiste était important, car je suis d’un naturel optimiste. Il ne faut pas baisser les bras. Les combats les plus durs que l’on doit mener sont en général, et en particulier avec la dépression, contre soi ou avec soi-même.

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Dans le deuxième livre paru lors de cette rentrée, « Bien des choses », vous illustrez le texte du dernier spectacle de François Morel. C’est un exercice très différent de ce que vous avez fait ? Vous aviez vu le spectacle ?
P.R. Je n’ai vu au théâtre, le spectacle de François Morel et d’Olivier Saladin, que très récemment. J’ai travaillé à partir du DVD et du texte. Le moteur de ma création est le plaisir. S’il est là, peu m’importe que cela doive se traduire en BD, en illustration, en scénario (que je ne dessinerai pas), en peinture ou même en film.

C’est reposant de ne devoir que dessiner ?
P.R. Ce n’est ni plus reposant, ni plus fatigant. C’est juste qu’on ne réalise qu’une partie du travail. Mais dans la partie qui nous incombe, l’investissement, l’implication, la concentration, le désir de faire au mieux est aussi présent et prenant que si vous réalisiez tout le boulot.



Vous sentez-vous proche de François Morel ? Vous n’avez pas envie d’écrire un vrai album de BD avec lui ?
P.R. Le regard que nous portons sur la vie en général, sur les gens, sur ce qui nous entoure au quotidien, est le même. Notre perception du monde est très semblable. Effectivement, nous pourrions faire une bande dessinée ou un film ensemble, mais encore faudra-t-il avoir des idées… 



Vous tournez actuellement l’adaptation des « Petits ruisseaux ». Pourquoi donner vie à cette histoire au cinéma ?
P.R. Parce qu’on me l’a proposé. J’ai déjà réalisé des courts et des moyens métrages. BD et cinéma participent à mon équilibre de travail et de création. Cela aurait donc été idiot, voire lâche, que de refuser cette opportunité de long métrage.

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Qu’est-ce que cela va apporter en plus ?
P.R. Changer de médium me permet d’apporter un autre éclairage et de choisir un axe de narration différent. Il était pour moi hors de question – et de toute façon techniquement impossible, impensable – de faire un copier-coller. On travaille avec des outils différents, même si c’est le même message, la même histoire.
Plus d’infos sur le tournage du film.


Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne.

« Un petit rien tout neuf avec un ventre jaune » par Rabaté, éd. Futuropolis, 18 euros.



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