Philippe Xavier: «Une mise en scène très cinématographique»

Entre deux cycles de leur série «Tango», Matz et Philippe Xavier ont réalisé un magnifique one shot de 144 pages dans la prestigieuse collection Signé. Son dessinateur Philippe Xavier revient sur la création de ce western moderne, qui emmène le lecteur sur les routes de l’Arizona et raconte le programme de protection des témoins mis en place par le FBI dans les années 60.

«Le serpent et le coyote» débute par huit pages muettes avec de grandes cases. Est-ce pour immédiatement plonger le lecteur dans la peau du personnage, qui vit en silence dans de grands espaces?
Philippe Xavier.
J’ai voulu me faire plaisir avant tout, ma façon de plonger dans l’univers du « Serpent et le coyote ». Je ne fais quasi jamais de recherches poussées avant de commencer un album. J’aime attaquer directement les planches, et me laisser entrainer par les cases à venir. Comme sur « Tango », Matz et moi avions concocté et tracé ensemble les grandes lignes de l’histoire qui comptait au départ 80 pages. On s’est mis d’accord que Joe roulerait à 40 mph dans une sorte de camping-car sur des routes désertiques et sinueuses du grand ouest américain. C’était une amorce suffisante pour me lancer sur la réalisation de ce road trip.
Dès le départ, j’ai eu envie d’instaurer un rythme graphique bien particulier, un découpage plus aéré, une mise en scène très cinématographique. Je voulais que le lecteur se retrouve embarqué avec Joe dès la case 1, le regard posé sur le compteur, pour ensuite s’en détacher et prendre son envol comme un oiseau, ou comme un drone pour être plus moderne et actuel, jusqu’à obtenir enfin une vue d’ensemble, plongeante, des grands espaces dans lesquels évolue notre personnage.
Une fois l’album achevé, j’ai ajouté les années et les lieux géographiques avec une typo choisie avec soin. Je trouvais que cela apportait cette touche cinématographique supplémentaire qui me plaisait.

Vous avez vécu aux Etats-Unis. Vous avez parcouru ces paysages du Texas? C’est important de connaitre un lieu pour le dessiner?
Ph.X.
Il s’agit plutôt ici de l’Arizona et de l’Utah. Mais, oui, ce sont des paysages que j’ai connus, gravés à tout jamais dans ma mémoire. Matz aussi connait très bien cette région, ayant vécu plusieurs mois en Californie. Il m’a même filé quelques photos de son périple, sources de quelques idées. Ce n’est pas indispensable d’avoir été sur place pour pouvoir dessiner des paysages, des régions ou des villes mais cela apporte peut-être un peu plus de crédibilité aux coups de crayon, aux émotions qu’on essaye de partager. Je le remarque souvent avec « Tango », quand les lecteurs ayant visité ces pays d’Amérique latine me disent avoir ressenti parfaitement la véracité, le souffle et l’émotion que ces régions immenses peuvent insuffler.

Durant vos années américaines, vous avez dessiné des comics. En quoi cela a influencé votre dessin?
Ph.X.
J’ai en effet débuté professionnellement dans les comics en 1996. Je voulais faire de la BD depuis mes 15 ans. Et vu que je vivais aux States, il fallait bien commencer par quelque chose et quelque part. Ce fut les comics. J’en ai réalisé 55 en six ans avant de revenir en Europe en 2003 pour y commencer ma carrière franco-belge. Je fêterai mes vingt ans l’année prochaine ! Le temps passe vite quand on s’éclate, et avec déjà 27 albums au compteur, les journées furent bien chargées ces deux dernières décennies. Le septième tome de « Tango » sera donc mon 28e album.
Les comics ont été une bonne école de production : une planche par jour, 22 chaque mois, une mise en scène efficace, ou la lisibilité est indispensable, avec un encrage je dirais plus sensuel et varié que le franco-belge classique, et un découpage plus aéré avec moins de cases par page. En cela, « Le Serpent et le coyote » peut faire penser aux comics, ou même au manga, mais peut-être aussi aux « Naufragés du temps » de Paul Gillon. Un mix de différents héritages.

Dans un restaurant, on aperçoit une affiche de « Blueberry ». Ce clin d’œil n’est forcément pas anodin. Giraud reste la référence pour le western?
Ph.X.
Giraud, Vance et Hermann seront toujours mes trois références. J’ai grandi en les lisant. Je passais des heures à voyager et à vivre les aventures de mes héros préférés avec eux, et comme par enchantement, je continue de les feuilleter de temps en temps. Quel travail, quelles planches ! Ils font partie de mon ADN de dessinateur. Et y ajoutant certains illustrateurs américains, tu secoues bien fort et voilà ce que cela donne (sourire). Il y a aussi d’autres clins d’œil à Jerry Spring, Bruno Brazil…

«Le serpent et le coyote» parle du programme de protection des témoins mis en place par les Etats-Unis à la fin des années 60. On est entre le western et le polar mafieux. Qu’est-ce qui vous a plu dans le scénario de Matz?
Ph.X. Le fait de pouvoir jouer avec les grands espaces, comme c’est le cas pour mes séries. Le décor est pour moi le personnage principal. J’ai choisi de situer l’intrigue dans les années 60-70, synonyme de quête de liberté, de rébellion. On peut y retrouver le souffle d’« Easy riders », l’empreinte de « French connection », « Goodfellas », et surtout de « Once upon a time in America » de Sergio Leone. L’époque est peu traitée en BD et permettait de se démarquer de « Tango », mais surtout de dessiner les looks démentiels, les coupes de cheveux, … avec en tête les musiques et films mythiques.
Effectivement, l’intrigue, le sujet du lancement du programme de protection de témoins, les protagonistes, les US Marshall ou les chasseurs de primes m’ont toujours fasciné. Cela en fait une sorte de western contemporain. Le premier pitch de Matz tenait en quelques mots évocateurs qui m’ont de suite inspiré des images, des idées et une envie. Nous avons construit l’histoire ensemble, comme à notre habitude, en bougeant et modifiant les éléments tout au long de la réalisation, rebondissant d’une idée à l’autre.


Vous avez justement écrit cette histoire au fur et à mesure. Elle est d’ailleurs passée de 80 à 140 pages. En quoi cela a influencé sur le résultat final?
Ph.X.
Depuis le début, je m’étais fixé comme objectif une mise en page de cinq cases au maximum par planche, de prendre le temps de raconter l’histoire. C’est surtout une question de rythme, de mise en scène, et je me suis rendu compte assez vite que les 80 pages ne seraient pas suffisantes pour faire ce que j’avais en tête, et au final nous en avons fait plus de 140 (sourire). Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de faire un one shot dans la prestigieuse collection Signé, donc autant y aller à fond et essayer de bien le faire ! Le résultat final est très captivant. Je pense qu’on offre aux lecteurs un agréable voyage dans le temps, une belle aventure à vivre au cœur d’une sacrée époque, et des centaines de kilomètres à parcourir avec Joe et le Coyote, comme au ciné. Le Witsec program, Joe, le coyote et le camping-car étaient les éléments clés de départ de notre récit. A partir de là, les personnages, l’histoire nous ont guidés.
Ensemble, on a construit, modelé « Le Serpent et le coyote » au fur et à mesure. Beaucoup de choses ont été remaniées entre l’idée de départ et l’aboutissement. Ce fut une belle aventure à mettre en scène durant ces longs mois de pandémie. Le voyage sur papier fut merveilleux, et il continue maintenant avec nos lecteurs.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Le serpent et le coyote » par Xavier Philippe et Matz. Le Lombard. 23,50 euros.

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