Mathieu Sapin: « Ce n’est pas dans ma grammaire habituelle de dessiner des orcs et des trolls »

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Pour faire face à la crise, le gouvernement a entièrement repensé le système éducatif et décidé de tout miser sur le… jeu vidéo. Avec Mathieu Sapin au dessin et Trondheim au scénario, « Kräkændraggon » qui avait été prépublié dans « Spirou » nous embarque dans le monde des ados.

Remplacer les cours de français ou de maths par des cours de langue elfique, jeux de rôle, avatars et étude de monstres, c’est un rêve de cancre?
Mathieu Sapin. Je n’étais pas un cancre, j’étais quelqu’un d’assez sérieux et je n’étais pas tellement jeu vidéo, beaucoup plus jeux de rôle. 9782070657605.jpg D’ailleurs, à un moment donné mes parents ont été un peu inquiets car ça a un peu menacé ma réussite scolaire parce que j’en faisais vraiment beaucoup… n’empêche que l’idée de base de « Kräkændraggon » n’est pas complètement idiote. Aujourd’hui, il y a a tellement de débouchés dans le monde des jeux, de la virtualité qu’on on pourrait presque y penser sérieusement.

Si vous n’êtes pas un geek au départ, comment est né le projet? Pourquoi Trondheim a-t-il pensé à vous?
M. S. En fait, il n’avait pas du tout pensé à moi mais à d’autres dessinateurs avec un trait plus référencé heroic-fantasy! Mais c’est en venant travailler quelques jours chez lui et en discutant de nos projets que je lui ai dit que je cherchais quelque chose. C’est lui alors qui m’a parlé de « Kräkændraggon » tout en me disant: « Je ne sais pas si tu vas faire l’affaire car il faut s’y connaître en jeu vidéo et en jeu de rôle et toi je crois que tu es nul… » Mais eeehh, LE spécialiste du jeu de rôle c’est moi!! Finalement, le fait que ce soit moi qui dessine l’album créé un décalage graphique intéressant car ce n’est pas dans ma grammaire habituelle de dessiner des orcs et des trolls…

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Votre trait éloigné de l’heroic-fantasy permet de ramener l’histoire dans le quotidien…
M. S. Oui c’est exactement ça. Comme c’est une BD à cheval entre le rêve et la réalité, il fallait trouver la position idéale entre ces deux extrêmes mais en fait on n’a pas énormément tâtonné: on a fait deux ou trois pages d’essais, quelques modifications et assez vite on s’est mis d’accord. Comme je suis nul en jeu vidéo, j’ai fait beaucoup confiance à Lewis qui s’est pas mal inspiré de son fils très en phase avec toutes les questions techniques.. Je me suis aussi beaucoup documenté… Bon, j’ai eu des plaintes comme quoi les orcs dans « Warcraft » ne sont pas exactement comme ça…

Vous avez-donc donné carte blanche à Trondheim?
M. S. Je me suis contenté de décider que le personnage aurait une chemise à carreaux et ça Lewis l’a mis en scène dans un gag où il dit que c’est son uniforme. Dans cet exemple, Lewis a réagi au dessin mais, sinon, c’est lui a qui tout décidé. Les dessins que je lui fournis lui donne des idées, des pistes mais c’est tout et ça marche très bien comme ça: il me donne du texte que je retranscris avec des images qui l’alimentent à son tour pour écrire le texte suivant mais ce n’est pas un échange verbal du type « tiens ce serait bien que les personnages fassent ci ou ça ». On se connait bien donc il y a vraiment une sort de ping-pong naturel. D’ailleurs, on a déjà travaillé ensemble sur « MKM » (« Mega-Krav-Maga ») avec cette fois un vrai ping-pong scénaristique: on écrivait chacun une page sans savoir donc comment aller se terminer l’histoire…

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Quand on creuse un peu, on remarque qu’il n’y a pas que le bouleversement des programmes qui est décrit dans l’album.
M. S. Tout à fait, c’est plus fin qu’il y paraît. On peut présenter l’album de deux manières. Soit on met l’accent sur le côté jeu vidéo qui devient la matière principale au lycée, soit on remarque plutôt l’histoire sentimentale et dans ce cas le jeu vidéo vient en arrière-plan. Trondheim ne s’est pas arrêté juste à cette idée, il a aussi joué sur les relations entre les personnages, les rapports entre générations, qu’est ce que s’intégrer dans un groupe et comment arriver à trouver sa place. Le vrai sujet c’est presque ça pour moi. Et puis, ce que je trouve rigolo c’est qu’au bout d’un moment même les élèves finissent par en avoir marre. Dans l’enseignement, quelle que soit la matière, si c’est fait de manière imposée, on finit par s’en dégoûter. Cette réflexion sur le rapport profs / élèves est un aspect intéressant de l’album.

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Y aura-t-il une suite?
M. S. Une suite est souhaitée. Il y a un voyage scolaire en Nouvelle-Zélande qui est prévu dans l’album. Moi-même j’y suis allé il y a longtemps, sur les traces du tournage du « Seigneurs des anneaux ». Donc ça laisse des pistes, je ne suis pas inquiet… Après le marché étant ce qu’il est, ce seront les lecteurs qui détermineront s’il y aura suite ou pas. Moi ça me va: j’ai envie d’être désiré.

Vous travaillez sur d’autres projets?
M. S. Dans Spirou, je dessine « Pinpin reporter », des mini-reportages un peu crétins mais des vrais reportages 100% inspirés de faits réels. Je vais sur les lieux et je décris des situations réelles mais c’est toujours mis en scène en exacerbant le côté ridicule de mon personnage de reporter gaffeur toujours un peu à côté de la plaque. J’aimerais en faire plus régulièrement mais honnêtement je suis un peu dépassé car j’ai consacré beaucoup de temps à des projets audiovisuels et notamment à la réalisation d’un court métrage live que je viens de terminer et qui va sortir dans quelques mois: « Vengeance et terre battue, une aventure de Rita Cerveau ».

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Sur quel sujet?
M. S. C’est inspiré d’un personnage que j’avais mis en scène dans ma série BD « Supermurgeman ». Le personnage est une jeune femme qui s’appelle Rita Cerveau. Une sorte d’enquêtrice très belle mais surtout tellement intelligente qu’elle résout des énigmes insolubles en claquant des doigts. Résultat, elle s’ennuie beaucoup dans la vie. Pour tromper son ennui, sa principale activité consiste à repérer des « pigeons » pour lui masser le crâne car elle est tellement intelligente qu’elle a des zones érogènes au niveau du cuir chevelu… C’est à la fois très déjanté mais assez élégant aussi car le personnage de Rita est interprété par Charlotte Le Bon et joue vraiment sur les codes de la femme fatale hollywoodienne. Un sorte de Betty Page moderne mais plus virile.

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Sinon, depuis « Kräkændraggon », vous vous êtes mis aux jeu vidéo finalement?
M. S. Pas du tout! Pourtant j’ai énormément des gens dans mon entourage qui sont à fond dedans mais je n’ai pas le temps et si je commence à jouer à ça… C’est comme la cigarette, il vaut mieux ne pas commencer!

« Kräkændraggon » par Mathieu Sapin et Lewis Trondheim. Gallimard. 13 euros.

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