Jean-Claude Bauer : « Entretenir la mémoire »
Trente-deux ans après avoir couvert le procès de Klaus Barbie en tant que dessinateur pour France 2, Jean-Claude Bauer s’est replongé dans des souvenirs forcément douloureux. Avec Frédéric Brrémaud au scénario, il revient sur ce procès historique mais aussi sur le parcours et la traque de ce criminel de guerre nazi. Indispensable pour le devoir de mémoire, « Klaus Barbie, la route des rats » est un récit glaçant.
Dans la préface, Serge Klarsfeld parle de transmission de la mémoire. C’était l’une des objectifs de ce livre?
Jean-Claude Bauer. Oui en effet, même si quand j’ai suivi ce procès en 1987, je ne pensais pas du tout réaliser ce travail. L’idée de faire une BD est venue sur le tard. 32 ans après. Il m’aura fallu tout ce temps pour me décider. Cela fait suite à mes retrouvailles avec Jean Olivier Viout, l’ancien substitut du Procureur Pierre Truche, qui m’a incité à sortir de mes cartons tous ces dessins. 190 au total. Lui faisait une conférence sur le sujet, moi j’exposais mes croquis. Puis j’ai partagé, le fruit de ma réflexion avec Frédéric Brrémaud, qui a accepté de m’accompagner dans cette aventure en scénarisant cette histoire. A partir de là, ce récit devenait un vrai documentaire qui servirait à entretenir cette mémoire. Je me devais de transmettre ce que j’avais entendu et vécu car je reste comme tous ceux qui ont vécu ce moment fort, un témoin essentiel de ce qui s’est dit dans ce procès.
Vous avez vécu ce procès Barbie en tant que dessinateur pour Antenne 2. Avez-vous hésité à vous replonger dans ce procès forcément douloureux?
J-C.B. Non, pas la moindre hésitation. Ça devenait pour moi, une « mission ». Et pour qu’elle soit réussie, il nous fallait du temps. Ce que, sans problème, nous ont accordé nos éditeurs. Évidemment que de lire ou réentendre certains témoignages de victimes m’a replongé dans ces instants douloureux. Il a également fallu visionner des films, des documentaires sur le sujet pour amasser de la documentation, et j’avoue, pour ce qui me concerne, avoir été extrêmement bouleversé.
Est-ce que dessiner cette BD était différent du dessin de presse que vous avez réalisé à l’époque?
J-C.B. Pas vraiment, car le traitement graphique m’a été suggéré par l’éditeur. Dessiner comme je dessinais pendant les audiences au crayon de couleurs. Ça m’a donné beaucoup d’aisance et ça apportait un style un peu différent de ce qu’on a l’habitude de voir en BD.
Au-delà du procès de Klaus Barbie, vous racontez aussi son parcours, sa traque mais également Jean Moulin ou les époux Klarsfeld. Comment avez-vous travaillé pour la documentation? Des rencontres?
J-C.B. Frédéric Brrémaud et moi avons glané des informations dans des livres et dans les films documentaires. Personnellement j’ai consulté un historien très pointu sur le sujet : Peter Hammerschmidt, qui a écrit « Klaus Barbie, nom de code: Adler ». Je suis aussi entré en contact avec plusieurs personnes (enfants de témoins, le caméraman qui a filmé l’interview de Ladislas de Hoyos avec Klaus Barbie, Monsieur Viout et même Serge Klarsfeld). Mais jamais de rencontres physiques. La raison essentielle était le covid.
Vous dessinez de nombreuses photos. C’est pour bien appuyer le fait que cet album est très documenté?
J-C.B. Traiter un sujet comme celui-là, nécessite une rigueur évidente et donc dessiner des photos donne un crédit supplémentaire à notre récit. Nous n’avons pas le droit à de l’à peu près.
Vous mettez aussi souvent en scène un dessinateur et vous dessinez même votre main en train de dessiner durant le procès…
J-C.B. Si je me suis autorisé à mettre ma main qui dessine sur un dessin original du procès, c’est pour mettre en évidence le fait que j’ai participé à ce procès, rien de plus et de faire partager aussi ces dessins qui passèrent de façon fugace à l’antenne.
Illustrer les témoignages glaçants des victimes de Klaus Barbie a été difficile ? Quelles sont les limites que vous vous êtes fixées?
J-C.B. Oui, ça n’a pas été toujours simple d’illustrer ces témoignages. Il m’est souvent arrivé de pleurer en audience, et je n’étais pas le seul. Mais je pense sincèrement que ça a ajouté une force supplémentaire au dessin. Quant aux limites, il n’y en avait pas ! Mon job était de rendre compte, un point c’est tout.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Klaus Barbie, la route des rats » par Frédéric Brrémaud et Jean-Claude Bauer. Urban Comics. 20 euros.