Jean-Christophe Delpierre: «Fluide Glacial est rare et précieux»
Pour célébrer le demi-siècle d’existence du magazine, Fluide Glacial publie un livre incontournable retraçant « 50 ans de couvertures ». Jean-Christophe Delpierre, son rédacteur en chef, présente cet ouvrage unique et partage sa vision de l’esprit emblématique de Fluide.
Il y avait plein de manières de fêter vos 50 ans. Pourquoi les couvertures?
Jean-Christophe Delpierre. Il y aura au cours de l’année 2025 toutes sortes d’événements festifs et éditoriaux pour commémorer les 50 ans de Fluide Glacial. Cet album des couvertures inaugure en avance cette prochaine année, car nous avons pensé que cela ferait un beau cadeau à offrir ou à s’offrir à Noël. Ce n’est pas un bilan nostalgique d’un passé révolu, mais un témoin des cinquante premières années de l’histoire de ce magazine mythique qui en connaîtra bien d’autres !
Pour un magazine comme Fluide Glacial, la couverture est très importante?
J-C.D. C’est la page la plus importante ! Quelle que soit son genre, c’est elle qui va attirer l’œil en linéaire, annoncer la couleur de ce qu’on va trouver à l’intérieur, séduire le chaland au premier coup d’œil, ou le provoquer, le faire sourire, et l’inciter à l’acheter. Bien sûr, la couverture sert aussi à se faire remarquer parmi la nébuleuse des autres titres de presse. C’est aussi un moyen d’annoncer que le nouveau numéro est sorti, donc la couverture doit être différente de celles des numéros précédents.
Qu’est-ce qu’une couverture réussie ?
J-C.D. La recette d’une bonne couverture est un peu comme celle d’un cocktail, composé d’ingrédients qu’on ne voit pas forcément, mais qu’on a envie de goûter. Pour Fluide, les principaux ingrédients sont le dessin et l’humour : un gag direct, qu’on comprend au premier coup d’œil, qui met un sourire complice sur le visage du passant. La couverture est aussi ce dont on se souvient, même longtemps après avoir acheté et lu le magazine. Quand des lecteurs de Fluide se retrouvent, jeunes ou plus anciens, ils adorent se remémorer leurs couvertures préférées. Chacun en a une ou plusieurs qui les a marqués. Donc une couverture réussie, c’est une couverture qui surprend par sa nouveauté et qui ensuite rassure et subsiste comme un bon souvenir.
« En évitant de traiter de l’actualité, par nature fugace, Fluide résiste au temps. N’étant pas à la mode Fluide n’a donc jamais été démodé, mais s’est adapté naturellement au temps qui passe en restant fidèle à un état d’esprit toujours moderne et vivant. »
Vous avez choisi une couverture par année. Comment s’est défini votre choix?
J-C.D. Nous avons décidé de créer un bel ouvrage, complet et truffé d’anecdotes pour raconter les 50 premières années de Fluide, et en montrer toutes les richesses, les styles, les auteurs, les types d’humour. Il fallait raconter Fluide d’abord en images, les plus spectaculaires et emblématiques étant les couvertures. Nous avons choisi une couverture par an, ce qui nous a mis parfois face à des choix difficiles : il fallait trouver un équilibre entre tous les styles de dessin et d’humour de Fluide, en choisissant le plus grand nombre d’auteurs qui ont fait le succès de notre magazine avec des couvertures remarquables. Certains sont dans le journal depuis ses débuts, comme Binet, Solé, Edika ou Goossens. On les retrouve tout au long de cet album. Sans compter toutes celles que Gotlib a dessinées lui-même durant les premières années.
Ce livre présente aussi les auteurs les plus emblématiques du journal. C’est une façon de les remercier?
J-C.D. Pour n’oublier personne, les lecteurs retrouveront dans cet album toutes les autres couvertures (près de 700 !) en plus petit format, la plupart signées par des auteurs réguliers. Chaque auteur, quel que soit le nombre de couvertures qu’il a dessinées, est important, car il a apporté sa touche personnelle, unique et originale, à l’humour et à l’histoire de Fluide.
L’humour de Fluide, qui est souvent déconnecté de l’actualité, ne vieillit pas. Est-ce l’une des clés de la longévité du magazine?
J-C.D. Fluide est un magazine que les lecteurs ne jettent pas ; au contraire, ils le conservent pendant des années, dans leurs toilettes ou chez leurs grands-parents à la campagne, et relisent parfois d’anciens numéros. Les plus jeunes qui tombent sur un numéro datant de quelques années, doivent pouvoir le lire et apprécier un humour non daté par une actualité oubliée. En évitant de traiter de l’actualité, par nature fugace, Fluide résiste au temps. N’étant pas à la mode Fluide n’a donc jamais été démodé, mais s’est adapté naturellement au temps qui passe en restant fidèle à un état d’esprit toujours moderne et vivant. C’est ce qui explique la longévité du magazine, proposer au lecteur une parenthèse de lecture et de déconnade détachée du poids de l’actualité triste et grise du quotidien. L’autre clef de Fluide est l’absence de publicité dans ses pages. Il est fidèle à ce principe, et les lecteurs qui apprécient ce gage de liberté et d’indépendance, lui sont également fidèles.
« Lire Fluide, c’est pouvoir se retrouver en bonne compagnie, avec des gens qui eux aussi aiment l’impertinence, l’insolence, sont un brin libertaires, décalés et subversifs, et qui se régalent des dessins et des bandes dessinées d’humour. »
L’époque est aujourd’hui difficile pour la presse. Comment résiste Fluide Glacial?
J-C.D. Fluide résiste avec brio grâce justement à la fidélité de ses lecteurs, à son humour intergénérationnel, à son ton et ses valeurs uniques, et bien sûr grâce à ses auteurs qui d’année en année maintiennent une qualité de dessin et d’humour sans cesse renouvelée.
Dans le dossier de presse, vous expliquez vouloir montrer que le magazine reste aujourd’hui aussi décalé, subversif et drôle qu’en 1975. Il est utile de le rappeler?
J-C.D. Je ne sais pas à quoi s’applique ce cliché « c’était mieux avant », mais pour nous, c’est tout le contraire : depuis sa création, Fluide entretient un haut niveau d’humour, de plus en plus nécessaire à l’époque actuelle. Fluide est rare et précieux. Et il sera encore mieux après !
Fêter cinquante ans de succès est l’occasion de montrer à nos jeunes lecteurs qu’en lisant Fluide, ils pourront retrouver et partager un état d’esprit qui devient plus rare, le goût de la dérision, de la contradiction… Lire Fluide, c’est pouvoir se retrouver en bonne compagnie, avec des gens qui eux aussi aiment l’impertinence, l’insolence, sont un brin libertaires, décalés et subversifs, et qui se régalent des dessins et des bandes dessinées d’humour.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Fluide Glacial · 50 ans de couvertures ». Jean-Christophe Delpierre. 34,90 euros.