Fabien Grolleau: « Un hommage au Fantôme du Bengale »
Avec son très réussi premier album « Le masque du fantôme », Fabien Grolleau ressuscite l’esprit des BD pulps et crée un super-héros inspiré du Fantôme du Bengale. Sauf qu’ici, il est surtout question d’un passionné qui finit par s’identifier à son héros de papier et va recevoir l’aide d’un dessinateur de BD. De l’aventure/réflexion comme on dirait dans la presse vidéo-ludique.
Est-ce qu’il y a un peu de vous dans le personnage principal, qui est un fan compulsif d’un comic ?
Fabien Grolleau. Je ne suis pas du tout collectionneur dans l’âme. J’ai même du mal à comprendre cette « manie ». C’est un mystère, mais je trouve que c’est une bizarrerie plutôt sympa finalement. Il y a tout de même beaucoup de moi dans ce personnage puisque je suis évidemment un grand lecteur de BD et que j’ai des souvenirs intenses de mes lectures de « Tintin » étant enfant.
En tapant « fantôme » et « Everglades » dans un moteur de recherche, on découvre une histoire de fantôme suite à un accident d’avion qui s’est produit sur les Everglades au début des années 70. Cela veut dire que vous n’avez pas créé ce héros par hasard ?
F.G. Je n’ai jamais entendu parler de cette histoire étonnante, ça m’intrigue… Le Fantôme, c’est évidemment une référence au vénérable Fantôme du Bengale et j’espère un hommage. Mais, j’avais besoin de construire un autre univers, propre à mon histoire et donc un autre super-héros, un « générique » comme il y en a eu beaucoup. Je l’ai situé dans les Everglades, pour leur côté marécageux, mystérieux, primitif, végétal et américain. Elles jouent un rôle important dans le tome 2.
Graphiquement aussi, il ressemble beaucoup au fantôme du Bengale…
Fabien Grolleau. Bien sûr que c’est une référence ! Je connais assez mal ce comics, et les comics en général, mais le « Fantôme du Bengale » représente pour moi la source des comics, le tout premier. Il a un côté mythologique, un peu comme Batman, Superman ou Tarzan, mais en plus « ringard », ce qui me plait bien. Ma BD est aussi un hommage aux petits formats que je feuilletais chez mon grand-père, les Zembla, Mandrake,… dont le Fantôme est pour moi le grand patron. Mais la vraie référence du livre est plutôt à chercher au 17e siècle en Espagne…
Pourquoi les super héros sont rarement de vrais super héros dans la BD franco-belge ?
Fabien Grolleau. Je n’en sais rien du tout ! J’imagine que notre BD s’est forgée sur une autre culture, d’autres ancêtres (Tintin, Spirou, Astérix…), sur un second degré qui nous interdit de porter le slip par dessus le collant sans pouffer de rire. Pour mon personnage, j’ai essayé de jouer sur les deux tableaux, pathétique et ridicule bien sûr, mais avec une certaine classe et un certain charisme aussi. Ce qui fait que par moment, on peut y croire à ce super-héros.
« Le masque du fantôme » n’est pas pour autant uniquement une parodie, mais explore d’autres thèmes comme la vieillesse (la maladie d’Alzheimer ?). C’est peut-être même le sujet principal de ce dyptique ?
F.G.Oui, c’est vrai. Je ne suis pas un grand fan de la « parodie » en général. Dans ma BD, j’utilise pas mal de clichés, de références, d’emprunts à d’autres livres, mais surtout comme outils pour mener l’action et pas de manière parodique. Effectivement, il y a autre chose sous tout ça. Surtout un amusement autour de l’art et la création, en le prenant par son versant le plus populaire et le plus décrié : la bd « pulp ». Pour Alzheimer, c’est un point de vue intéressant… Disons que j’essaie de raconter la vie d’un homme, qui a une façon de vivre bien à lui, essentiellement dans sa tête et dans ses livres. Et si après tout, vivre masqué et en collant dans sa tête était aussi une belle vie ? En poussant un peu le bouchon : et s’il n’était pas plus intéressant de vivre dans le monde de « l’art » que dans le monde réel ?
Vous en profitez aussi pour parler de l’image encore très négative que la BD a pour certaines personnes. C’est quelque chose qui vous énerve ?
F.G. Ça ne m’énerve pas, ça me fait même plutôt rire. Ce sont là encore des clins d’œil, des clichés qui m’amusent. J’aime les mettre en abyme, parler de la BD dans une BD qui parle de BD. Je trouve que ça participe au sujet. Ces détracteurs de la BD ne se rendent pas compte de la bêtise de leur point de vue, et ça me fait rire. Après je ris aussi de moi qui suis tenté quelquefois d’abonder dans ces clichés (et je ne dois pas être le seul auteur à le faire). J’ai par exemple mis du temps à m’assumer comme auteur de BD.
L’un des personnages de votre album se demande pourquoi le comic a traversé les frontières. Avez-vous une explication ?
F.G. Non, pas vraiment et je trouve ça assez magique. J’imagine que c’est pour toutes ces histoires mythologiques ; ce sont les Hercule et Ulysse du monde moderne ? Dans ma BD, je m’appuie évidemment sur l’exemple du « Fantôme du Bengale ». Il est présent dans un nombre incroyable de cultures, du Danemark à l’Inde, de l’Australie à Israël ; ce ne sont pas toujours des traductions mais des vraies productions « locales » (souvent de très mauvaises BD mais peu importe). Je trouve ça assez émouvant.
« Le masque du fantôme » paraît dans un petit format bon marché (8,90€ pour 190 pages) qui colle parfaitement au sujet…
F.G. J’ai envoyé cette histoire à Lewis Trondheim, pile au moment où il lançait ce nouveau format chez Shampooing. Il m’a proposé de travailler mon histoire pour cette taille, en deux tomes, et effectivement c’est parfait pour mon sujet. En tant que lecteur, j’adore ce format : pas cher, maniable, et beaucoup de lecture potentielle. Je trouve que c’est une excellente idée. En tant qu’auteur (et surtout pour un premier album solo), c’est un peu un casse-tête de remuer autant de pages et c’est surtout très long à dessiner. Mais c’est vraiment un très bel espace laissé à un auteur et je suis enchanté de l’avoir fait.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne.
« Le masque du fantôme » par Fabien Grolleau. Delcourt. 8,90 euros.