Damien Perez: « pouvoir et contre-pouvoir »

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Journaliste pour « Casemate » et « Spirou », Damien Perez se trouve cette fois de l’autre côté du dictaphone pour parler de « L’ordre du chaos », une série très prometteuse coscénarisée avec Sophie Ricaume. On y découvre que plusieurs personnages historiques ont été manipulés pour dérégler la mécanique d’une apocalypse annoncée.

Comment est née cette série ?
Damien Perez. Comme Sophie Ricaume appartenait au service marketing de Glénat, on a été amené à travailler ensemble au moment du livre « I.N.R.I. L’enquête ». Au cours d’un repas, on a vu que l’on avait des envies d’écritures convergentes sur les mêmes thématiques. On a décidé de se mettre au boulot très vite. Cela s’est traduit par de nombreux échanges par mail et par téléphone qui ont permis de progressivement construire cette série. On a tellement échangé que l’on est aujourd’hui persuadé tous les deux d’avoir tout fait (sourire).

Aucun de vous deux n’est donc scénariste de métier ?
D.P. Effectivement. Autant Sophie chez Glénat que moi avec le magazine Casemate, nous avons réussi à apprendre des petits trucs sur l’art de faire tenir un scénario. Didier Convard nous a aussi donné pas mal de conseils. Il est devenu une sorte de mentor discret et on s’inscrit un peu dans la même lignée que lui. 


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Comment s’est construit L’ordre du chaos ?
D.P. Sophie est historienne de formation et amène toujours l’ordre, des trucs bien établis, des gros repères historiques. Moi, j’y ajoute le chaos qui représente la part fictionnelle. Concrètement, je vais proposer une histoire avec par exemple Talleyrand qui saute d’un train en marche, fait une roulade et s’enfuit dans la jungle. Sophie m’explique alors que Talleyrand était boiteux, qu’il n’y avait pas de train à son époque et qu’il n’est jamais allé dans la jungle. Elle est là pour tout recadrer d’un point de vue historique. C’est Sophie qui m’a dit que Machiavel avait écrit des pièces comiques. J’ai été surpris d’apprendre que ce mec froid, reptilien et calculateur était un fait quelqu’un de drôle. J’ai donc creusé derrière cette info et découvert qu’il avait beaucoup d’esprit et un appétit de vivre phénoménal, totalement opposé à l’image qu’il a pu laisser dans l’histoire. À partir de là, on empile nos idées. Soit la pile s’écroule, soit elle tient et on est pose un joli petit drapeau dessus avec notre copyright (sourires). 


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C’est grâce à ce genre de particularité que vous avez choisi vos six personnages principaux ?
D.P. Nos personnages avaient besoin de remplir plusieurs critères : être universels, avoir de grosses zones d’ombre dans leur dossier pour que l’on puisse y injecter de la fiction, avoir vécu des évènements très surprenants dans leur vie afin de dessiner un personnage contraire à l’image d’Épinal et enfin avoir approché des hommes de pouvoir afin de greffer notre intrigue de complot à travers les âges.

Est-ce que vous en avez abandonné certains ?
D.P. Peut-être pas abandonnés, car on les garde au cas où l’on ferait une seconde saison. On aurait par exemple vraiment voulu exploiter Mata-Hari. Il a aussi été question de Jeanne d’Arc, mais on a appris qu’il y avait un projet avec Valérie Mangin et Jeanne Puchol. Cela aurait été un peu bête de faire deux livres sur le même personnage. Vidocq est aussi un peu passé à la trappe. Mais bon, on a emmagasiné des infos sur eux et on attend un peu pour les reprendre.

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Cette série repose sur des duels entre le bien et le mal. Le but est de ne pas être trop manichéen ou au contraire d’en jouer ?
D.P. On a essayé de définir des personnages qui sont le moins manichéens possible. Concrètement, on a les veilleurs, qui sont des humanistes qui veulent le bien de la race humaine, mais qui pour cela vont semer le chaos et ruiner des destins individuels. On réfléchit à la dualité entre le bien et le mal pour chacun de nos personnages, mais on s’interroge aussi sur la notion de pouvoir. Est-ce que l’on a le droit de décider de la destinée commune sans consulter les gens sur lesquels on règne ? Ce sont plein de thématiques qui nous titillent et qui se sont imposées presque toutes seules.


Philippe Le Beau est quasiment absent du récit. Est-ce que vous auriez aimé avoir plus de places pour davantage développer son personnage ?
D.P. C’est le format qui l’impose. On aurait pu développer chacun des volumes de « L’ordre du chaos » sur trois ou quatre tomes. Tu découvres toujours des trucs incroyables que tu ne peux pas traiter à cause du format. D’un autre côté, cela impose d’aller à l’essentiel, de faire une narration très tonique et au final cette contrainte est plutôt positive.

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Dans ce premier tome, Jérôme Bosch est juste un instrument des veilleurs. Cela vous amuse de manipuler vos personnages ?
Sans vouloir servir la théorie du complot pour autant, on est persuadé qu’il y a les hommes de pouvoir qui sont

D.P. universellement admis, mais aussi des contre-pouvoirs avec l’information, la publicité, la finance voire même le peuple même si c’est relativement rare. On s’est amusé à faire vaciller toutes ces figures de pouvoir : la politique avec Machiavel ou la science avec Einstein. Les veilleurs, qui sont une autre forme de pouvoir, ne seront pas épargnés non plus.



La biographie de Jérôme Bosch publiée en postface, c’est pour crédibiliser votre travail ?
D.P. 
On espère toujours que la BD donne envie au lecteur de creuser, mais on ne voulait pas prendre le risque qu’il ne le fasse pas. On fait tellement d’enfants illégitimes à l’histoire depuis la nuit des temps que l’on ne voulait pas lui en faire un de plus. On raconte des choses tellement énormes, mais véridiques, que l’on tenait vraiment à ce que le lecteur puisse faire la part du vrai et du faux. Un exemple : Ruggieri, le mage de Catherine de Médicis, pratiquait du vaudou. Beaucoup penseront que c’est n’importe quoi en lisant le tome 3 alors que c’est vrai. La secte des adamites, présente dans ce premier tome, existait et on voulait que cela soit attesté. Il était aussi important d’offrir un aperçu de la toile de Jérôme Bosch pour que le lecteur puisse s’y balader comme nous l’avons fait. C’est d’ailleurs ce qui nous a donné envie d’écrire ce livre.

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Quand on débute une nouvelle série avec des éléments fantastiques, il faut expliquer le concept tout en proposant une intrigue dès le premier tome. C’est compliqué de concilier les deux sur un seul tome ?
D.P. 
Notre force, c’est de fonctionner sur des personnages universels et de ne pas trop avoir besoin de les installer. C’est peut-être un peu moins vrai avec Bosch, le moins connu du casting. Mais, à l’arrivée, on a tout de même un premier tome bavard, car il fallait expliquer un concept qui n’est pas forcément le plus simple dans l’histoire de la BD. Cela demande un peu d’implication. Il a fallu faire beaucoup de moutures, notamment au niveau des pages introductives, pour être certain que le postulat soit bien clair dès le début.



Chaque album semble être construit de manière indépendante. Est-ce qu’il y aura aussi une intrigue à suivre sur l’ensemble des sept tomes ?
D.P. 
Il y a un fil rouge. On essaye de mettre en place une intrigue globale qui montre les implications de la prophétie d’Euzébius dans notre monde contemporain. Chaque tome pourra se lire indifféremment sans problème, car il n’y aura pas trop de rappel d’un album à l’autre. On veut éviter de prendre le lecteur en otage. Concernant ce fil rouge, il va y avoir une graduation et une résolution dans le tome 7 qui se déroulera de nos jours avec un rouage encore mystérieux. On ne l’a pas révélé, car l’histoire est un « work in progrès » qui va continuer à évoluer pendant que l’on écrit la série. On a choisi un personnage, mais on veut éviter que son destin aille à l’encontre de ce que l’on veut installer. On se laisse le temps et on verra dans quelques années si cela fonctionne ou si l’Histoire est venue nous contredire.



Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne.

« L’ordre du chaos » de Damien Perez, Sophie Ricaume et Geto. Delcourt. 13,95 euros.



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