Brüno: « De l’excitation et des frissons »
« Lorna » est un joyeux et magnifique bordel où se croisent (presque) tous les personnages habituellement abonnés aux films de série Z. Brüno rend ainsi hommage au cinéma-bis qui l’a fait vibrer durant sa jeunesse. Jubilatoire.
Le communiqué de presse de votre éditeur parle d’une déclaration d’amour au cinéma-bis. C’était vraiment votre but au départ de ce projet ?
Brüno. Oui, totalement. J’ai commencé à développer « Lorna » (titre d’un film de Russ Meyer, sorti en 1964) en 2007, en parallèle de mes autres livres. J’ai pensé ce projet comme une récréation, un espace de totale liberté qui me permettait de mettre en place un univers qui me tenait particulièrement à cœur, hommage aux films de cinéma-bis que j’apprécie et qui font partie depuis longtemps de mes sources d’influence. Cette récréation n’était pas forcément destinée à devenir un livre, car je ne savais pas si j’allais m’arrêter, las, au bout de 10 pages. Ce n’est que lorsque je me suis retrouvé avec une cinquantaine de planches que je me suis mis à chercher un éditeur que cela pouvait intéresser.
Qu’est-ce qui vous plaît dans ce cinéma de série Z ?
B. Énormément de choses. C’est assez difficile à expliquer, mais ce type de cinéma m’embarque vers des univers ou des sujets vraiment surprenants, et même si ces films sont rarement menés à bien – il faut le reconnaître -, il existe de véritables pépites. Le ghetto cinématographique dans lequel se trouvaient ces films, l’aspect crétin ou horrifique de leurs sujets, ajouté à une pénurie de moyens, leur confère une fraîcheur que j’ai du mal à retrouver dans des genres plus “honorables”. Mais l’attirance pour ce cinéma est aussi due à l’envie de retrouver l’excitation, les frissons que je pouvais avoir, plus jeune, lorsque j’ai vu pour la première fois, « La Mouche », « The Thing », « Evil Dead » ou « Street Trash ».
Quand on écrit une histoire déjantée comme « Lorna », est-ce que l’on se fixe tout de même des limites ?
B. « Lorna » est un livre qui s’est construit peu à peu. Je l’ai écrit en majeure partie de manière improvisée, puis, soucieux de proposer quelque chose de lisible et de plaisant au lecteur, je me suis attelé à créer des séquences destinées à colmater les “brèches scénaristiques” laissées vacantes par l’improvisation, et améliorer la cohérence de l’ensemble. J’ai également réarrangé certaines scènes déjà existantes (par exemple, sur mon blog, la fin de la scène de la piscine est différente de la version imprimée, de même que la scène dans le cinéma, qui a été “porno-isée” pour la version livre.) Dans cet exercice que l’on pourrait qualifier de “cadavre exquis en solitaire”, je ne me suis fixé qu’une règle, à savoir : surtout ne pas oublier le lecteur. Il était primordial que celui-ci prenne autant son pied à lire cette histoire fantasque, que j’en avais pris à l’écrire.
Est-ce que vous prenez davantage de plaisir à dessiner les histoires que vous scénarisez vous-même ?
B.C’est certain, il est plus facile de travailler seul aux manettes, car je n’ai personne pour m’obliger à dessiner des choses que je n’ai pas envie de faire. Mais la collaboration avec un scénariste est très enrichissante – si la rencontre se passe bien -, car celui-ci m’oblige à me secouer, à casser des automatismes dans lesquels on tombe souvent en travaillant seul. De plus, j’adore ce travail en équipe, si réduite soit-elle, pour mener à bien le projet de faire le meilleur livre possible.
Ce qui attire immédiatement l’attention dans ce nouvel album, c’est sa couverture ! Est-ce que vous l’avez beaucoup travaillé ? Est-ce un élément important commercialement ?
B.
La couverture est toujours un élément important d’un album. Pour « Lorna », ce qui m’amusait c’était de pouvoir y mettre une femme nue, en pied et de face (chose rarissime pour une BD non vendue sous blister !). Grâce à l’aspect synthétique de mon dessin, je savais que je pouvais me permettre ce type d’image sans tomber dans le vulgaire, malgré le sujet. De plus, l’illustration était en total raccord avec le contenu du livre, pas de publicité mensongère, le lecteur en voyant l’image savait à quoi s’en tenir, entre la référence à l’Attaque de la femme de 50 pieds, et la nudité de mon personnage.
En terme d’impact visuel, c’est un succès, mais j’ai aussi fait fuir pas mal de lecteurs, et surtout de lectrices pour qui femme nue égale BD pour mecs bas du front. Dommage.
Et l’idée d’y inclure un poster ?
B.Une petite plus value pour que l’objet soit encore plus beau, et c’est réussi, même si j’ai réalisé seulement après coup que personne n’épinglerait ce poster chez lui…
Dans la préface, Jean-Pierre Dionnet décrit votre trait de « réalisme minimaliste ». Êtes-vous d’accord avec lui ?
B.En ce qui me concerne, je travaille mon dessin de manière à offrir au lecteur un impact immédiat, sans fioritures. Mon style est plus graphique que naturaliste, je travaille par suggestion, en représentant la réalité de manière très synthétique.
Est-ce que « Lorna » restera comme votre album de série Z ou est-ce le début d’une nouvelle orientation ?
B.Je travaille sur un tome deux, sobrement intitulé « Lorna 2 », qui ne sera pas vraiment une suite, mais plutôt une seconde variation sur le thème du cinéma-bis. Mais cela ne sera pas pour tout de suite. En ce moment, je travaille sur un scénario beaucoup plus construit, et c’est peu dire, car je retrouve Fabien Nury pour un one shot de 90 pages.
Notre rencontre s’étant idéalement passée sur « Atar Gull », on remet donc le couvert, sur un thème très différent. Cette fois-ci, ce sera « Tyler Cross », du polar, noir, cynique et teigneux à souhait, avec pour cadre le Texas des années 50… Et s’il fallait une référence cinéma, eh bien, disons que se serait « Un Homme est Passé », remaké par Peckinpah.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Lorna » par Brüno. Treize étrange, Glénat. 17,25 euros.