Arnaud Le Gouëfflec : « Jouer des caricatures et de l’exagération »
Vous n’avez jamais lu un western aussi déjanté que « Mondo Reverso »! Forcément, puisque dans le Far West d’Arnaud Le Gouëfflec , ce sont les desperadettes qui font la loi à coup de flingue pendant que leurs maris raccommodent leurs robes à frou-frou.
Quand Yann Lindingre vous a proposé de travailler avec Dominique Bertail sur un western, vous vouliez absolument aborder ce genre d’une façon originale ?
Arnaud Le Gouëfflec. J’aime le western sans être un spécialiste, et j’aime surtout les genres littéraires parce qu’ils sont codifiés et qu’on peut s’amuser à modifier les codes et à jouer avec. J’ai eu l’occasion de le faire avec le policier, dans des romans ou avec la science-fiction avec « Soucoupes » dessinée par Obion ou « La Carte du ciel » dessinée par Laurent Richard. Concernant le western, j’avais aussi en tête l’esprit de Fluide et l’idée de faire quelque chose de drôle. Donc il m’est apparu presque naturel d’inverser les rôles des hommes et des femmes, dans un genre où ceux-ci sont justement très codifiés.
D’où vient plus précisément cette idée quand même très farfelue ?
A. L. G. Notamment de la Manif pour tous. J’ai été très étonné de voir à quel point tous ces gens, dans la rue, étaient paniqués à l’idée qu’on puisse estomper les genres, qu’on puisse les confondre, à répéter comme un mantra « un papa une maman ». C’était pour moi un énorme « what the fuck ? » et il m’est donc venu l’envie d’en rire.
Avez-vous pris davantage de plaisir que sur d’autres albums en inventant cette histoire tout de même bien barrée, en imaginant les réactions outrées de certaines personnes ?
A. L. G. Pas forcément davantage, mais ça a été un moment particulièrement jubilatoire. Sur les rails du code, suivant leur logique d’homme ou de femme à l’envers, les personnages ont presque une vie autonome, et donc je me suis amusé à les pousser sur leur pente, à jouer des quiproquos, des caricatures et de l’exagération. J’ai aussi joué du principe des personnages croisés : Mumu qui devient un homme et Camille qui souhaite redevenir femme… C’est vite devenu assez délirant.
Dans « Mondo Reverso », les femmes prennent la place des hommes, mais récupèrent également toute leur bêtise. Vous n’avez pas été tenté de montrer qu’elles étaient plus intelligentes et de leur épargner cela ?
A. L. G. L’histoire n’a pas vocation à prouver quoi que ce soit ! Ni que les femmes soient plus intelligentes, ni le contraire. D’ailleurs je ne le pense pas. L’intelligence, la bêtise, tout ça n’a pas grand-chose à voir avec le sexe. Le principe de « Mondo Reverso » est ludique : renverser les rôles et, à partir de là, voir ce qui se passe et construire une histoire.
Est-ce que cela a été un défi pour Dominique Bertail d’inverser les codes, de donner des allures masculines aux femmes ?
A. L. G. Ça nous a posé toutes sortes de questions à Dominique et à moi comme de trouver une solution pour représenter les Indiennes et les différencier des Indiens, sachant que l’on n’avait pas de costumes aussi clairement identifiables qu’une robe. On a donc joué sur les coiffures. Pour le reste, Dominique est un fin connaisseur du western et ses costumes n’ont pas de secrets pour lui. Quand j’ai découvert les premières planches, j’ai simplement été bluffé par sa maîtrise. Il dessine en cinémascope !
Est-ce que vous pourriez transposer cette idée dans notre société actuelle ?
A. L. G. Sans doute, mais ça donnerait une tout autre histoire. Car inverser les paramètres dans un genre aussi sexué que le western est une chose, le faire dans notre société moderne en est une autre. Ce serait sans doute plus complexe, même si dans certains secteurs, les rôles sont toujours aussi caricaturalement répartis…
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Mondo Reverso » par Arnaud Le Gouëfflec et Dominique Bertail. Fluide Flacial. 16,90 euros.