MONROE

La descente aux enfers d’un Inuit parti rapporter son escarpin à Marilyn Monroe. Un récit poignant remarquablement mis en valeur par le dessin et les couleurs de Tirabosco.

La chasse à la baleine. La routine pour les chasseurs inuits, ou presque… Car quelle n’est pas leur surprise de découvrir, un jour, dans l’estomac d’un de ces mammifères, une chaussure blanche de femme. La même que celle que porte Marilyn Monroe sur une photo tirée d’un vieux magazine! Le chef est formel, « on ne peut pas marcher avec une seule chaussure » alors il charge Sakaeunnguaq d’aller à Hollywood rendre son bien à Marilyn.

Et c’est parti pour un road-movie d’un genre nouveau, avec un esquimau et un escarpin pour héros! Mais ne vous y trompez-pas, malgré l’apparente naïveté du scénario et le dessin tout en rondeurs, « Monroe » est un récit noir, poignant sur le choc de deux civilisations. Au cours de son périple à travers la banquise puis l’Amérique des années 60, notre brave « sauvage » va aller de désillusions en désillusions. Au gré de ses rencontres avec des personnages peu fréquentables, il va découvrir la méchanceté gratuite, la violence, le cynisme, la cruauté, le racisme, bref tout ce que l’homme a de plus laid en lui. Un esprit aussi pur que celui incarné par l’Inuit Sakaeunnguaq pourra-t-il gagner contre cette société moderne qui casse les individus? La réponse n’est pas des plus optimistes et l’on ne peut qu’assister à la descente aux enfers de ce brave esquimau.

L’album est peu bavard ce qui donne encore plus de poids au graphisme très personnel de Tirabosco et à l’ambiance qui se dégage de cet album: des regards qui en disent plus que de longues explications, des couleurs lumineuses brouillées par des hachures grises et d’épais traits noirs, des tons pastels qui jouent avec le grain rugueux du papier, la blancheur de la banquise qui tranche avec les décors sombres et miteux de banlieues délabrées, etc. L’atmosphère de « Monroe » est unique et s’il était encore besoin de s’en convaincre, cette sombre fable nous prouve avec Tom Tirabosco et Pierre Wazem (qui avaient déjà signé ensemble « Week-end avec préméditation » chez les Humanos) que la nouvelle bande dessinée suisse est décidément pleine de talent.

Casterman

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