ENFER PORTATIF

Pierre l’aveugle et Paul le tétraplégique s’entraident: l’un est les yeux, l’autre les jambes. Une ambiance sombre à la limite du sordide pour cet album dans lequel pointent tout de même poésie et humour.

Quand on est handicapé et sans domicile fixe, la vie est loin d’être facile. Alors Pierre l’aveugle et Paul le tétraplégique s’entraident: l’un est les yeux, l’autre les jambes; ils mangent des oiseaux tirés au lance-pierres. Après une nuit au poste de police, ils sont recueillis par une âme charitable, Barbara Casablanca dont la fille est aveugle et coincée dans un fauteuil roulant. Ils dorment dans un lit, mangent à leur faim (du macrobiotique certes) mais la brave dame a la fâcheuse tendance à les considérer comme des animaux de compagnie pour sa fille.

François Ayroles qui a signé déjà plusieurs ouvrages à l’Association (« Jean qui rit et Jean qui pleure », « Incertain silence ») nous livre ici un roman noir original. « Enfer portatif » est comme un instantané pris à un moment donné de la vie d’errance de Pierre et Paul. Le lecteur fait juste un bout de chemin avec les deux héros qui croisent des gens, s’attardent parfois auprès d’eux avant de repartir à la fin de l’album, on ne sait où ni au bout de combien de temps. Comme les deux héros, on se laisse entraîner par les événements tout au long de cet épais ouvrage de 120 pages, sans jamais trouver le temps long.

De prime abord pourtant, « Enfer portatif » n’est pas très engageant. Le dessin est en noir et blanc, le trait épais, les encrages abondants. Les personnages (principaux et secondaires) sont disgracieux et pas vraiment charismatiques. Mais la plupart sont des êtres marqués par la solitude (Pierre et Paul, la jeune jardinière, Toto le simplet du cirque, la mère et la fille Casablanca) et l’auteur parvient sans misérabilisme à les rendre plus attachants. Quant aux dialogues, à la fois lucides et poétiques, ils ne sont pas dénués d’humour. Ayroles n’hésite pas non plus à lancer quelques piques au passage, notamment sur le marché de l’art puisque Pierre, aveugle mais pas manchot, voit ses premiers tableaux abstraits achetés par un collectionneur et exposés dans une galerie.

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