DEUXIEME GENERATION, Ce que je n’ai pas dit à mon père

Le témoignage attachant de Michel Kichka, fils de juif déporté, qui se fait ainsi la voix de tous ceux ayant vécu le syndrome de la deuxième génération. Un autre regard sur la Shoah, intelligent et passionnant.

Rescapé des camps de la mort, vivant mais brisé à jamais. C’est avec le fameux « Maus » dans un coin de la tête que l’on ouvre « Deuxième génération ». Comme l’a fait Art Spiegelman avant lui, Michel Kichka explique quelles peuvent être les conséquences d’un tel traumatisme sur les relations entre un père et sa descendance. Né en 1954 en Belgique, Michel Kichka n’a pas connu la Shoah et pourtant l’ombre de celle-ci n’a cessé de planer au dessus de sa tête durant sa vie d’enfant, d’adolescent et même de père de famille. Henri, le père de l’auteur, est revenu de déportation en 1945. Ce fut le seul survivant de sa famille, des juifs polonais installés en Belgique pendant l’entre deux-guerres.

Dans la famille de Michel, on ne parlait pourtant jamais de la Shoah, sauf par allusions difficilement compréhensibles par des enfants, sauf pour dire que son papa, lui, avait le droit de roter à table « parce qu’il a été dans les camps »… Et c’est en se posant en vain mille questions, en cherchant en cachette dans les livres l’image de son père déporté et en se privant de contrarier celui qui a tant souffert que Michel grandit. Un souvenir pesant, obsédant et dévorant, le vrai sujet de l’album.

Mais tout bascule vraiment pour Michel, lorsqu’à la suite d’un drame familial, la parole d’Henri se libère… Dans un flot ininterrompu, égocentrique et submergeant l’espace vital de toute la famille. Difficile de se construire à travers le silence de son père, difficile aussi de vivre lorsque celui-ci se met soudain à parler de ce qu’il a vécu à la télévision, à la radio ou devant des groupes d’adolescents, etc. Ce livre est comme la dernière étape d’une libération pour Michel, un exutoire.

Contrairement à « Maus », « Deuxième génération » ne fait pas de description détaillée de l’Holocauste, privilégiant des tranches de vie et des anecdotes. C’est d’ailleurs ce qui séduit particulièrement dans cet album: porté par un trait plutôt caricatural, le récit sait se faire léger et humoristique. Jusqu’à blaguer sur la Shoah, dans une scène familiale osée mais bienvenue. Une dédramatisation qui permet de mieux saisir le poids dont souhaite se débarrasser toute une génération.

Une très belle réflexion qui vient enrichir de manière complémentaire une longue série d’oeuvres consacrées à la Shoah.

Dargaud

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