Tristan Roulot : « Une épidémie réservée au métal »

Avec « Le Convoyeur », Tristan Roulot renouvelle le genre post-apocalyptique avec une bactérie dévoreuse de métal qui va anéantir notre civilisation mais aussi faire muter le genre humain. Une série originale, prometteuse et portée par le dessin toujours parfaitement maitrisé de Dimitri Armand.

Le monde apocalyptique du Convoyeur est très original, puisqu’il découle d’une bactérie dévoreuse de métal. Cette idée vous permet de proposer un monde vraiment singulier. C’est ce que vous cherchiez dès le départ ?
Tristan Roulot.
En effet, comme tout bon univers post apo, il faut une cause à la fin de la civilisation. Guerre, épidémie, changement climatique, invasion extra-terrestre, le thème a déjà été beaucoup exploité. Quand j’ai imaginé les implications d’une épidémie réservée au métal, ressource de base à notre confort moderne, j’ai su que je tenais quelque chose.

C’est aussi une histoire qui se déroule en France, ce qui n’est pas forcément commun. Pourquoi ce choix ?
T.R.
C’était motivé par deux éléments qui au final se rejoignent. Je suis le premier à me gaver des créations anglo-saxonnes ou asiatiques, pour autant je regrette le manque de production francophone sur les sujets de l’imaginaire, par frilosité des producteurs autant que par manque de budget. La BD nous permet de faire de la mégaproduction, autant en profiter, non ?
Le second point, c’est l’influence sur l’histoire elle-même. En posant notre caméra dans le sud de la France, on profite des châteaux et des villages médiévaux qui redeviennent des places fortes recherchées, depuis que la bactérie a réduit à néant les constructions modernes. Visuellement, un soldat qui garde une muraille avec une arbalète et des fringues modernes, c’est intéressant.

Votre univers est peuplé de mutants et de diverses créatures monstrueuses. Ne pas chercher à construire un univers forcément crédible vous permet d’emmener le lecteur encore plus loin ?
T.R.
La mutation du fer, y compris celui présent dans nos cellules, a eu pour corollaire la mutation du genre humain : de nouveaux pouvoirs physiques ou psychiques, mais aussi une fracturation de nos gènes qui rendent l’humanité incompatible avec elle-même. C’est ce qui donne ce côté crépusculaire au récit, tout en laissant planer le mystère sur les mutations et pouvoirs réels des protagonistes (ou l’occasion à Dimitri de dessiner des trognes pas possibles à certains mutants).

La violence est très présente dans « Le Convoyeur ». Est-ce difficile d’en définir les limites ? Est-ce que la bande dessinée permet d’aller plus loin que la télévision ou le cinéma ?
T.R.
Notre héros évolue dans un monde crépusculaire sans foi ni loi, qui emprunte autant aux codes du western rugueux qu’à celui du médiéval réaliste, avec bandes de brigands et seigneurs corrompus. La violence a toujours eu la côte dans l’audiovisuel, je dirais qu’en BD on peut plus s’attarder sur l’image. Quand elle est bien composée, elle peut marquer durablement la rétine.

On devine plusieurs influences qui sont d’ailleurs expliquées dans le dossier de presse : X-Men, Mad Max, Le fils de l’homme…). Mais, c’est toujours par petites touches. Aucune ne prend le dessus. C’était important d’être très original ?
T.R.
Je me nourris sans m’en apercevoir de tout ce j’ai vu ou lu. C’est d’ailleurs souvent en répondant aux questions que je me rends compte de l’influence qu’ont eu certaines œuvres sur mon propre univers mental. Il y a des figures incontournables du post-apo, comme celles citées plus haut, mais j’aimerais rajouter aussi le roman « Malevil » de Robert Merle.
Concernant l’originalité, il ne s’agit pas pour moi de réinventer la roue, mais de proposer un univers convaincant pour aborder des thèmes personnels.

Le convoyeur est un personnage étrange, plein de mystères. On ne sait pas trop si on doit s’en méfier. Comment est-il né ? Etait-il important de s’éloigner du héros habituel ?
T.R.
Le thème central du récit tient dans son titre : c’est bien le convoyeur, notre héros. Ce qu’on découvrira sur lui au fil des trois tomes est ce qui m’a donné envie d’écrire cette histoire. Hélas, pour le moment, je ne peux rien en dire sans gâcher le plaisir du lecteur.

Votre histoire est superbement dessinée par Dimitri Armand. Qu’a-t’il apporté à votre projet ?
T.R.
Sur la base de mon avant-projet (les thèmes majeurs du récit, une présentation de l’univers et des personnages principaux, et un résumé précis de chaque tome qui compose la trilogie), il lui a donné un visage et un charisme unique. Il y a une séduction immédiate et une élégance dans le trait de Dimitri, qui me permet d’aller assez loin dans certaines idées et de créer du contraste entre le propos et le traitement de l’histoire. Si son dessin était aussi sale que notre univers ou l’âme de nos protagonistes, ce serait bien moins plaisant à lire, je pense !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Le Convoyeur » par Armand et Tristan Roulot. Le Lombard. 14,45 euros.

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