Pierre Alary : « Faire de Zorro un mythe »

Le justicier masqué est de retour pour combattre l’injustice. Pierre Alary ressuscite Zorro grâce à un dynamique récit d’aventure solidement ancré dans la réalité historique de la Californie au milieu du XIXe siècle.

En faisant des recherches sur Zorro sur Wikipedia, j’ai découvert le personnage semi-légendaire de Joaquin Murietta, qui ressemble à votre Don Vega…
Pierre Alary.
Tout à fait. Joaquin Murietta est le personnage qui a inspiré Zorro à Johnston McCulley pour ses romans. Et, de fait, initialement j’hésitais entre une biographie romancée de Murietta ou un Zorro. Mais Murietta ayant eu une fin assez radicale, j’ai gardé Zorro, mais je l’ai replacé dans le contexte historique de Murietta. Cela nous permettait d’avoir une fenêtre pour faire une autre histoire du vengeur masqué.

Quel Zorro vous a marqué quand vous étiez enfant ?
P.A. Aucun. Je regardais la série, bien sûr, surtout pour le générique et Tornado cabrant devant l’éclair. Mais sinon, je crois que même enfant, j’ai toujours trouvé assez ridicule le concept du chapeau plat et, surtout, du loup qui empêche d’identifier Zorro alors qu’on lui voit les trois quarts du visage. J’ai d’ailleurs tout de suite enlevé ces attributs de mon cahier des charges.

Vous avez pris beaucoup de plaisir à dessiner ce héros ?
P.A. Après les 300 pages de la saga irlandaise de Sorj Chalandon (« Mon Traître » puis « Retour à Killybegs », ndlr), j’avais envie de revenir à un dessin qui m’était plus naturel et qui me permettrait de m’amuser un peu, avec du mouvement, de l’aventure. J’avais aussi l’envie de me frotter à un personnage connu. De fait, après réflexion, Zorro me semblait réunir un peu tous les genres et toutes mes envies : de l’aventure, un personnage bien graphique et charismatique, le western, et un petit fond « social ».

Vous avez opté pour un prequel qui raconte sa naissance. C’était un choix évident pour vous ?
P.A. Je donne mon point de vue sur la naissance de Diego, mais Zorro, lui, est déjà là. C’est bien l’idée. Zorro semble exister depuis un certain temps déjà et peut-être encore pour longtemps. C’était mon ambition (n’ayons pas peur des mots) de faire de Zorro un mythe, bien plus grand que Don Vega, Diego ou qui que ce soit qui porte le masque. Zorro existera tant que quelqu’un croira en lui.

Votre récit est très ancré dans la réalité historique. C’était important pour comprendre ce qui va construire le personnage de Zorro ?
P.A. Le contexte historique, ici, me semblait plus intéressant que celui des années 1820, celui des romans. Il permettait d’ancrer tous ces personnages dans une réalité politique qui me semblait plus parler aux gens du XXIe siècle. Du coup, cela donne un album beaucoup plus sombre que ce que l’on pourrait attendre pour une histoire de Zorro. Après, c’est juste une toile de fond. Je ne développe pas plus que cela ce contexte et j’essaye de rester concentré sur le côté aventures de ce genre de récit.

Don Vega est parfaitement rythmé en alternant les scènes d’actions et les planches plus bavardes…
P.A. Je voulais absolument éviter de donner trop d’infos à travers les dialogues. C’est un truc avec lequel j’ai beaucoup de mal en bande dessinée. Les dialogues explicatifs. C’est pour cela que j’ai opté pour le texte d’introduction. Ainsi, même sans trop rentrer dans les détails historiques, j’en serais incapable, on met le lecteur en position confortable. Je peux ainsi me permettre d’intégrer des sous-entendus dans les dialogues, le lecteur sait à peu près de quoi il retourne. En tout cas, il en sait autant que moi et les protagonistes sur la situation générale.
J’ai aussi beaucoup de mal avec ces pages en fin d’album, généralement incontournables et insupportables, où tout s’arrête pour quatre ou cinq pages d’explications en « refaisant le match » comme disait Eugène Saccomano. J’ai essayé d’éviter ça, mais malheureusement, j’ai quand même dû placer deux pages de dialogues (devant l’église en feu) afin de mettre les points sur les « i ». Je n’ai pas trouvé la solution.

Maintenant que vous avez donné vie à Zorro, il faut continuer à nous raconter son histoire…
P.A. Cet album a toujours été pensé comme un one shot. Mais, c’est vrai, j’aimerais bien poursuivre l’idée du Zorro mythologique et ainsi le faire intervenir à différents tournants de l’histoire des États-Unis : la guerre de Sécession, la naissance du KKK… Quelle pourrait être la marge de manœuvre d’un personnage comme Zorro sur des évènements historiques tels que ceux-là ?

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Don Vega » par Pierre Alary. Dargaud. 16,50 euros.

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