Laurent Galandon: « Le revers de la médaille »

Avec « Le Contrepied de Foé », le scénariste Laurent Galadon braque sa caméra au-delà des projecteurs et montre la détresse de jeunes footballeurs africains arnaqués par un voleur de rêves. Réaliste et profondément humaine, cette histoire d’esclavage moderne n’épargne personne.

le-contrepied-de-foe-tome-1-contrepied-de-foe-le-one-shot.jpgEn quatrième de couverture, vous annoncez que 1.200 enfants ont été escroqués dans le milieu du foot. C’est en découvrant ce chiffre que vous avez envie d’écrire sur ce sujet ?
Laurent Galandon. J’ai trouvé ce chiffre au cours de mes recherches documentaires, mais ce n’est pas cela qui a déclenché mon envie d’écrire sur cette thématique. Le projet est né d’une envie de raconter une histoire autour de l’esclavage moderne. J’ai tapé ce terme générique et très large sur Wikipédia et des tas de portes se sont ouvertes. J’ai choisi de m’engouffrer dans celle du football.



Vous êtes passionné de football ?
L.G. Non, justement, je ne suis qu’un amateur très éloigné. Ce qui me plait en tant que raconteur d’histoires, c’est d’aller m’imprégner d’univers que je ne connais pas très bien. En plus, il y avait toutes sortes de ressorts narratifs assez riches.

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« Le contrepied de Foé » est présenté comme un docu-fiction. Cela signifie que vous avez fait un travail d’enquête pour vous approcher au plus près de la réalité ?
L.G. Je fonctionne de manière différente selon les albums, mais je vais assez peu sur le terrain. Je m’appuie sur le travail de journalistes qui sont de vrais professionnels de l’enquête. Ce n’est pas mon cas et ne suis pas certain que j’en serai capable. Donc, je m’approprie le travail de journalistes. Je croise leurs informations pour être le plus juste possible puis tisse des fils narratifs.



Quelles ont été vos sources ?
L.G. J’ai d’abord lu « Les Négriers du foot » de Maryse Éwanjé-Épée, des articles de journaux… Puis j’ai élargi mon cercle vers tout ce qui est lié aux dérives dans le sport. Je me suis aussi intéressé aux films ou aux romans. Au cours de ces recherches, je me suis peu à peu éloigné du sujet principal pour lire des papiers sur les sans-papiers ou sur les émigrés.



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Cet album donne une très mauvaise image du foot alors que les escrocs n’ont finalement rien à voir avec le monde du football professionnel…
L.G. Je n’ai rien contre le foot. On fait surtout apparaître son côté brillant et je trouvais intéressant de déplacer un petit peu la caméra pour montrer qu’il y aussi des choses pas très belles. Mais loin de là l’idée de condamner le football. « Le contrepied de Foé » est un petit exemple du revers de la médaille.



« Le contrepied de Foé » montre très bien comment l’économie d’un village peut reposer sur le salaire d’un footballeur expatrié…
L.G.Cela m’a été confirmé lors d’une émission de télévision à Bruxelles. À côté de moi, il y avait un footballeur sénégalais. Ses parents vivaient en France : sa mère était femme de ménage et son père éboueur. Il expliquait que réussir dans le football, c’était aussi proposer à ses parents la possibilité de vieillir de manière plus agréable. C’est très prégnant. On le sent dans tous les témoignages. Quand un enfant montre un potentiel pour évoluer dans le football, on lui met une pression très lourde sur les épaules. Et ces gamins comme Urbain et Ahmadou qui se font un peu arnaquer par un agent véreux ont du coup du mal à retourner chez eux s’ils n’ont pas trouvé la gloire espéré.

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Tout le monde profite d’eux en fait…
L.G. Je voulais éviter une certaine forme de manichéisme avec les gentils noirs et les méchants blancs. Il y a un système complet qui se met en place dont parfois les Africains sont eux-mêmes les acteurs. C’est incarné dans le livre par la tante Magda.



« Le contrepied de Foé » se termine sur une note d’espoir pour vos deux jeunes footballeurs. Avez-vous hésité à conclure par ce happy end ?
L.G. Pour moi, c’est une fin un peu douce et amère. Certes, ils ne se retrouvent pas totalement dans la misère, mais en même temps leurs rêves se sont envolés. 



Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Le contrepied de Foé » par Laurent Galandon et Damien Vidal. Dargaud. 19,99 euros.

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