Doug Headline : « Un hommage au cinéma de genre »
Fasciné par le cinéma et notamment par le Giallo italien, qui mêle polar, horreur et érotisme, Doug Headline a réussi un coup de maitre avec « Midi-Minuit ». Sans être jamais ennuyant ou didactique, il nous raconte ce cinéma de genre, nous fait découvrir l’époque des cinémas de quartier à Paris et nous lance à la poursuite d’un mystérieux assassin masqué.
Ressemblez-vous aux deux cinéphiles passionnés de « Giallo » de Midi-Minuit ?
Doug Headline. En un certain sens, car je suis toujours complètement fasciné par le cinéma et j’ai gardé le côté « fanboy » des cinéphiles que l’on voit dans le récit (qui d’ailleurs sont tous bien réels.) C’est-à-dire que je voue toujours une immense admiration à un grand nombre de cinéastes. Et je continue inlassablement à discuter de films avec des amis cinéphiles que je connais depuis des décennies. La vision de tant de films en salle alors que nous étions à peine sortis de l’enfance a été pour nous un traumatisme originel dont on ne s’est pas remis. Cela nous a donné une espèce de vocation, très souvent un métier, et un inépuisable sujet d’étude et de conversation.
Dans la première partie de l’histoire, on sent une vraie nostalgie de l’époque des cinémas de quartier. C’est une époque qui vous a marqué ?
D.H. Bien sûr. C’est difficilement imaginable aujourd’hui, avec la disponibilité quasi permanente d’une quantité phénoménale de films via l’internet. Mais il faut s’imaginer ce que l’on pouvait ressentir en allant voir un film sur grand écran dans une salle de cinéma, dans un monde où n’existaient ni VHS ni DVD ni Blu-Ray et seulement deux ou trois chaînes de télévision qui diffusaient assez peu de films. En dehors de la Cinémathèque, seules les salles de quartier permettaient de découvrir des films en deuxième ou troisième exploitation, voire des années après leur sortie. Se promener sur les grands boulevards et regarder la devanture des cinémas, c’était comme piocher dans le trésor d’Ali-Baba. Au hasard, on pouvait tomber sur « La Bataille de la Planète des Singes », « Une Longue File de Croix », « Les Insatisfaites Poupées érotiques du Professeur » « Hichcock » ou « Le Retour de l’Abominable Dr Phibes ». Tout ça méritait sans nul doute d’être vu ! Et chaque salle avait sa spécificité : classiques américains à l’Action Lafayette, comédies au Studio Parnasse, westerns au Bosphore, épouvante au Brady…
« Midi-Minuit » raconte une passionnante histoire de cinéma tout en plongeant dans le polar. Vous aviez l’idée de mélanger ces deux genres dès le début du projet ?
D.H. C’est le sujet qui a dicté la forme. Il s’agissait de rendre un hommage un peu exhaustif au cinéma de genre italien des années 1960/70. Avec le péplum et le western spaghetti (on dirait aujourd’hui « western all’italiana », pour marquer un peu plus de respect), le Giallo a été la forme la plus singulièrement italienne de la période. C’est aussi la seule de ces formes qui est contemporaine. Il aurait été plus difficile d’inscrire cette histoire dans le cadre d’un péplum ou d’un western ! Et puis j’adore le Giallo, avec ses codes très particuliers, son potentiel de suspense, et bâtir l’histoire sur ce canevas presque mathématique facilitait les choses.
Est-ce que traiter ce sujet sous la forme du polar est aussi un moyen de toucher un plus large public et donc de faire découvrir le Giallo et ses réalisateurs ? Est-ce que vous êtes alors dans un rôle de « passeur » comme peuvent l’être vos deux cinéphiles ?
Vous n’épargnez pas les critiques de cinéma. Est-ce simplement pour les besoins du récit ou en profitez-vous aussi pour tirer quelques flèches ?
Massimo Semerano a enseigné à l’académie des Beaux-Arts de Bologne, la ville où se déroule l’essentiel de « Midi-Minuit ». Est-ce un hasard ? Est-ce que vous vouliez absolument un dessinateur italien ?
En complément de la bande dessinée, vous proposez une filmographie de Marco Corvo, qui laisse penser que ce protagoniste central de l’histoire est bien réel. Seuls les lecteurs qui feront une recherche sur internet découvriront la vérité… Vous aimez jouer ainsi avec le lecteur et naviguer entre fiction et réalité ?
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne « Midi-Minuit » par Doug Headline et Massimo Semerano. Dupuis, Aire Libre. 22 euros.
D.H. Je l’espère. Ça fait 35 ans que j’essaie de faire partager mon enthousiasme pour le cinéma de genre, pour les films et les réalisateurs obscurs ou oubliés. Plus l’histoire humaine avance, plus la production de marchandises culturelles s’accélère. Face à l’avalanche perpétuelle de livres, de films, de musique à laquelle on assiste désormais, il devient primordial d’aider le lecteur-spectateur-auditeur à sélectionner les œuvres les plus singulières ou remarquables, et tout simplement à s’y retrouver au milieu d’une offre surabondante. Du coup, le rôle des prescripteurs ou incitateurs est devenu primordial. Et tous les moyens sont bons pour aider les cinéphiles, et notamment les plus jeunes, à découvrir ce à côté de quoi ils auraient pu passer. Ça marche dans les deux sens, d’ailleurs : il me paraîtrait navrant qu’un cinéphile de 16 ou 18 ans s’envoie tous les films de cannibales italiens, mais ne voie aucun film de John Ford, Raoul Walsh ou Michael Curtiz.
D.H. Longtemps, il y a eu une hypocrisie absolue de tout un pan de la critique, française en particulier, qui a consisté à rejeter les films de genre en les traitant comme des déchets, tout juste bons pour les débiles mentaux, les pervers, les dégénérés, alors que ces films avaient la faveur du public et que certains étaient des œuvres extraordinaires. Les critiques que je mets en scène ne sont guère différents de ceux qui ont pendant des années craché sur Clint Eastwood, Dario Argento, John Carpenter, et tant d’autres. Les mêmes journaux mettent à présent ces cinéastes en couverture et leur tressent des couronnes. Il n’y a rien à ajouter.
D.H. Travailler avec un dessinateur qui serait sensible au sujet, qui aimerait ces films et cet univers spécial du cinéma italien, me semblait présenter de gros avantages. L’histoire devait se dérouler à Bologne, parce que c’est une ville moins exploitée par le cinéma que Rome ou Milan. Massimo connaît tout ça à fond. Un des protagonistes de l’histoire (un ami commun qui est le modèle de l’inspecteur de police du récit) nous a présentés, ça a bien collé entre nous et le processus de création s’est déroulé très naturellement. Je dois dire que Massimo a fait un travail formidable, il a donné énormément de temps et d’énergie pour que cette histoire prenne vie, et je lui en suis très reconnaissant. J’espère qu’on va poursuivre la collaboration entamée avec « Midi-Minuit ».
D.H.
Mais en vérité, Marco Corvo est un personnage bien réel, non ?
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