Herik Hanna: « J’aime que la narration ne révèle pas tout » 


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Pour son premier scénario, qui clôture admirablement l’excellente série «Le casse», Herik Hanna a imaginé une intrigue originale et sans faille dans l’Allemagne nazi d’entre-deux-guerres. Plein de mystères, «L’héritage du Kaiser» tient le lecteur en haleine jusqu’à un final particulièrement surprenant.

Comment avez-vous été recruté dans l’équipe du « Casse »?
Herik Hanna. Enrico Marini a été le premier à lire mon travail et à m’encourager dans ce métier. Nous nous sommes retrouvés par hasard il y a trois ans, au détour d’une allée du festival d’Angoulême. Le hasard a aussi voulu que Fred Blanchard soit présent. Fred m’a rapidement mis en relation avec David Chauvel. Après avoir lu quelques-uns de mes scénarios, David m’a donné ma chance sur le Casse. 



Publier votre premier album avec un thème imposé, un casse, cela a été un guide ou au contraire une contrainte ?
H. H. C’est un guide, une barrière invisible avec laquelle il faut jouer, pouvoir s’écarter d’elle pour mieux y revenir. Quant au sujet en lui-même, c’est un exercice de style peu évident. Des gens incroyablement talentueux ont établi les règles d’or du genre. Difficile de s’émanciper d’eux, des codes, des images qu’ils ont laissées dans l’imagerie populaire. Mais, pour ces mêmes raisons, ça reste un très bon sujet.

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Situer le récit dans l’Allemagne nazie de l’entre-deux-guerres s’est rapidement imposé à vous ?
H. H. 
Étrangement, oui. Il me fallait un cadre peu exploité. Et cette période des derniers mois avant le début de la guerre en Allemagne est malheureusement un vivier de folie et d’inconscience, assez peu traité dans des œuvres de fiction grand public et encore moins sur le sujet précis d’un casse. Je voulais découvrir cette période au travers des recherches de l’album. Celui-ci s’est d’ailleurs longtemps appelé «1936» en raison de cette volonté de coller aux évènements de cette année précise, à cet air du temps particulier… au bord du précipice.  



Votre héros ressemble à un James Bond très sombre et les quelques traits d’humour de l’album sont eux aussi très noirs. C’est vraiment l’ambiance que vous souhaitiez donner à cet album ?
H. H.
Je ne pouvais pas avoir une équipe de braqueurs. D’autres scénaristes de la collection avaient déjà choisi ce point de vue. Ce choix me rapprochait aussi des codes dont nous parlions précédemment. Le Major est disons… «venu me chercher». C’est l’archétype du méchant tueur anonyme, solitaire, borgne et balafré, avec une seule idée en tête depuis des années, impossible, irréalisable. Je l’ai adoré tout de suite. La scène du bureau des équipements est évidemment un clin d’œil à James Bond, entre autres… avec le prototype d’un véhicule mythique, récemment conçu cette année-là. Quant à l’humour noir, ce type pouvait difficilement faire des «blagues sympas». C’est aussi un sport familial que j’aime retrouver dans mon travail. 



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Pour réussir cet album, vous aviez besoin d’une intrigue originale et sans faille. Le plus compliqué est d’être parfaitement cohérent et crédible ou de proposer quelque chose de totalement nouveau et surprenant ?
H. H.
Une intrigue originale et sans faille, c’est la volonté première de tous les scénaristes. J’ai rendu le scénario que j’avais en tête. Ce n’est pas à moi de juger si je me suis approché de ce but. D’autres le diront… et d’autres encore diront le contraire. Quant à la cohérence et la nouveauté, la crédibilité et la surprise, ce n’est pas le genre de question que l’on se pose en travaillant. J’ai confiance en mon personnage principal. Je connais l’environnement dans lequel il évolue. Je le laisse ensuite faire son truc. Si le résultat nous amène à la tranche de vie d’un héros «bigger than life» (ndlr: hors du commun) évoluant dans une réalité historique avec un casse énigmatique en filigrane alors c’est là que nous devions aller ensemble.

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Pendant une grande partie de l’album, le lecteur est happé par votre histoire sans vraiment savoir ce qui se passe…
H. H. Le personnage principal reste au centre de l’histoire et non, son but. Il connait donc des éléments que le lecteur ignore ou doit interpréter par de brefs indices ou des extraits succincts de dialogues. S’éloigner du sujet pour mieux y revenir. Ne pas écrire une histoire de casse pour commettre un bon casse. Je remercie encore David et Guy Delcourt de m’avoir permis cette approche… et Trevor et Sébastien d’avoir été les parfaits associés de ce plan tordu. Je comprends aussi que certains lecteurs puissent être surpris par cette approche particulière. 



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Du fait de cette intrigue qui ne se dévoile qu’en toute fin d’album, c’est une BD qui se redécouvre à la deuxième lecture…
H. H.
J’aime que la narration ne révèle pas tout, qu’elle me lâche la main pour pouvoir combler les blancs moi-même. J’aime que les points de force du récit reposent sur des détails, de simples images muettes ou des répétitions de situations. À nouveau, je ne sais pas si j’y suis parvenu, mais ça demande une petite attention de lecture, puis une relecture complice où le lecteur se dit «je sais». Ça établit une connivence supplémentaire entre lui et le personnage. Cette question comporte d’ailleurs un indice appréciable. Vous avez lu l’album deux fois, c’est plutôt bon signe.

Propos recueillis par Emmanuel LAFROGNE

« Le casse », tome 6 « L’héritage du kaiser » par Herik Hanna et Trevor Hairsine. Delcourt. 13,95 euros.

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