Thierry Martin : « Une BD se regarde avant d’être lue »

Développé pendant un peu plus de sept mois au rythme d’une case par jour publiée sur Instagram, « Dernier souffle » est un projet aussi atypique que magistral. Thierry Martin réussit un coup de maitre avec ce magnifique western sans paroles.

Ce projet est né sur Instagram. Pourquoi ne pas opter pour le format carré du réseau social ?
Thierry Martin.
Tout simplement parce qu’un format « 16/9 » correspond mieux au genre, là en l’occurrence le western. Les compositions sont plus souvent plus dynamiques et aussi l’espace est plus élargi.

Vous avez publié une image par jour pendant un peu plus de sept mois. Est-ce que vous avez tenu compte de ce rythme de lecture très lent ?
Th.M.
Je ne m’en suis pas rendu compte lors des trois ou quatre premiers jours. Ensuite, effectivement, je me suis dit que la progression allait être très lente mais il fallait prendre ce temps pour que moi et le lecteur rentrions dans l’histoire. Une histoire que je n’avais pas d’ailleurs : je ne savais pas qui était ce personnage, quelle était son histoire, pourquoi il était là, où il allait… Tout le plaisir était là, j’allais le découvrir en même temps que ceux qui me suivaient. Ensuite, il fallait qu’il se passe quelque chose tous les deux ou trois jours. Le personnage tombe sur des traces, à qui sont ces traces ? Où mènent-elles ? Une cabane ? Est-ce sa cabane ? Celle d’un autre ? Et chaque jour je faisais un choix et je m’y tenais.

Vous avez donc aussi écrit cette histoire plus ou moins au jour le jour ?
Th.M.
Oui, plus ou moins. Je devais publier un dessin tous les matins entre 8h55 et 9h05. C’était impératif d’entretenir cette régularité, d’abord pour moi, pour me discipliner et ensuite pour le lecteur, ça devenait comme une sorte de rituel.

Avez-vous tenu compte des remarques de vos lecteurs sur Instagram ?
Th.M.
Je n’ai tenu compte d’aucune remarque de lecteurs. Je faisais ça d’abord et surtout pour moi. C’était ma respiration quotidienne. En même temps, je ne crois pas en avoir eu, de remarques, dans les commentaires mis à part ceux qui appréciaient tel ou tel dessin ou ambiance. C’était très encourageant aussi pour que je continue.

Est-ce qu’écrire une histoire sans paroles a été un défi ?
Th.M.
Oui et non. Oui, le défi était de toucher le plus grand nombre (à mon modeste niveau bien sûr) sans être bloqué par la barrière de la langue. Le dessin étant universel, c’était le moyen idéal pour communiquer. Et non parce qu’en fait, j’ai toujours aimé les films muets. Pour moi, une bande dessinée se regarde avant d’être lue. À partir de ce postulat, on fait en sorte de mettre en avant les informations essentielles pour le lecteur, on cadre et on compose le plus simplement possible l’élément que l’on veut montrer ou le sentiment que l’on veut faire passer.

Cette histoire de vengeance est un classique du western. Quelles étaient vos influences ?
Th.M.
C’est en effet totalement un classique. Au fur et à mesure que j’avançais, c’est devenu une histoire de vengeance. Ça allait être aussi pour moi un défouloir, j’avoue, aussi bien graphique que scénaristique.
Quant à mes influences, les premières qui me viennent, c’est notamment les westerns de et avec Clint Eastwood, comme « Josey Wales Hors la loi » ou « Pale Rider » et d’autres, mais aussi « La horde sauvage » de Sam Peckinpah ou « The revenant » de Alejandro González Iñárritu pour l’ambiance neigeuse.

Chaque dessin peut quasiment être isolé et raconter quelque chose, provoquer une émotion. C’était important ?
Th.M.
Oui c’est très important, parce qu’il doit donner envie à ceux qui me suivent de revenir le lendemain (rires). Blague à part, à partir du moment où l’on dessine une histoire, chaque dessin compte, ils ont tous leur importance bien sûr, mais du moment où l’on choisit de montrer quelque chose on choisit aussi ce que l’on ne veut pas montrer, et c’est là que tout se passe. On fait travailler l’imaginaire du lecteur et le lecteur devient acteur de notre histoire. Si on y arrive alors on a réussi notre coup, enfin pour moi.

Vos planches sont superbes et notamment celles sous la neige. Comment avez-vous réussi techniquement à leur donner leur aspect ?
Th.M.
Tout simplement avec des pinceaux sales et des pinceaux secs pour le noir, de l’encre de chine basique et ensuite de l’acrylique blanche pour les effets de neige sur les arbres, projetée avec une brosse à dents.

Chaque dessin adopte un cadrage différent du précédent. Est-ce que vous avez particulièrement travaillé cela ? Est-ce pour une question de rythme ?
Th.M.
Oui, totalement, la réponse est dans la question (sourire). Jouer avec les cadrages, c’est encore plus important dans une histoire muette. C’est une musique, ça donne le tempo, le rythme. Pour moi, c’est la base, le dessin, c’est le bonus. D’ailleurs à propos du dessin, avec « Dernier souffle », j’ai voulu sortir de ma zone de confort, je voulais un trait énergique, un encrage qui vienne appuyer un propos, qui vienne accentuer une fureur, une colère ou alors une forme de sérénité, d’apaisement, de silence, d’où la neige, le silence froid qu’il y a au fin fond d’une forêt par exemple.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Dernier souffle » par Thierry Martin. Soleil, collection Noctambule. 26 euros.

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