Christian Cailleaux : « J’ai beaucoup appris sur Boris Vian »
Figure emblématique de la littérature et du jazz des années 50, Boris Vian était aussi un brillant provocateur. Sa vie est ainsi presque aussi passionnante que son œuvre, comme le raconte cette première biographie dessinée par Hervé Cailleaux, dont le trait épouse à merveille l’ambiance du St-Germain-des-Près de l’après-guerre.
Quand Hervé Bourhis vous a proposé cette biographie de Boris Vian, quelle a été votre première réaction ?
Christian Cailleaux. J’ai rapidement accepté, car Hervé est un ami et j’apprécie son travail. L’exercice de la biographie en bande dessinée ne me serait pas venu à l’esprit, mais je connaissais la passion d’Hervé pour Vian et sa grande maîtrise du sujet. J’ai donc surtout accepté, car j’imaginais me plonger avec délice dans la période évoquée et retrouver des atmosphères que j’aime dessiner. Les décors, les costumes, mais également la fièvre de création et de liberté de l’après-guerre sont des éléments qui me parlent et que – à ma manière – j’avais utilisés dans ma série « Les imposteurs » pour Casterman.
C’est peut-être la période qui correspond le mieux à votre dessin ?
C.C. Je n’ai pas d’explication particulière, à part le fait que j’aime ces périodes. Celles des films noirs, des partis-pris esthétiques proches du noir et blanc, très évocateurs du cinéma. C’est aussi une époque où les costumes sont plus parlants, puisque les femmes portaient des robes de soirée et les hommes des costumes et des chapeaux. Le design des objets, des voitures ou de la décoration était aussi moins uniforme qu’à l’heure actuelle. Ce sont autant de bonheurs de dessinateur.
Est-ce que vous connaissiez bien la vie de Boris Vian ?
C.C. Je connaissais très mal sa vie et cet album m’a appris beaucoup. Comme beaucoup de gens, je n’avais lu que l’Écume des jours et J’irai cracher sur vos tombes à l’adolescence et entendu quelques chansons. Il m’a donc fallu me mettre en quête de documentation, mais cela fait partie des plaisirs de l’auteur : s’immerger dans un monde inconnu pour en restituer des impressions et des émotions.
Quand vous dessinez le Moulin rouge en 1959, il est impératif d’être très fidèle ou vous pouvez vous permettre quelques libertés ?
C.C. Mon style n’est pas suffisamment réaliste pour prétendre à une représentation fidèle et, là encore, l’intention est plus de restituer une atmosphère que de vouloir reproduire une réalité.
Et pour dessiner Boris Vian ? C’est forcément plus compliqué de dessiner un personnage connu ?
C.C. Pas plus compliqué. Différent. Les photos, de Vian ou des autres, existent et permettent donc de s’approcher du personnage. Je ne suis pas un portraitiste hors pair, mais après voir « posé » le personnage de Vian, il n’est plus indispensable d’être dans une représentation photographique tout au long de l’album. Le lecteur suit le personnage et je crois que le mode de narration de la bande dessinée permet ce type de liberté.
Plus concrètement, il n’aurait pas été cohérent au point de vue graphique que je représente les personnages connus de façon hyperréaliste et tout le reste avec mon propre style.
On y croise également Serge Gainsbourg et Juliette Gréco. Il est important que les lecteurs les reconnaissent au premier coup d’œil ? Est-ce qu’il existe des astuces ?
C.C. Non, il n’est pas indispensable de les reconnaître au premier coup d’œil. Notre propos n’était pas de faire une galerie de références et de citations qui aurait été ignorée par le lecteur qui ne les maîtrise pas. Nous avons surtout souhaité évoquer la vie d’un homme et son chemin de création. Ces personnages sont là parce qu’ils ont pris une part dans la vie de Vian, mais si le lecteur ne les reconnaît pas ou ne les connaît pas, ce n’est pas important. Cela dit, au moment de les dessiner, j’ai tenté de les représenter le plus fidèlement possible.
Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous fascine le plus chez Boris Vian : sa vie ou son œuvre ?
C.C. De tous les artistes, ce que je préfère c’est l’œuvre. L’homme peut être décevant ou changeant. Vian est peut-être à part dans le sens où il fut un touche-à-tout, un précurseur et l’annonciateur du renouveau de l’art après la Seconde Guerre mondiale. C’était un provocateur brillant, liant justement l’homme et son œuvre de façon très intime. Mais finalement, on ne connaît rien de l’homme et ses secrets. Reste l’œuvre pour nous parler… « Piscine Molitor » n’a que l’ambition d’approcher un tout petit peu plus près de ce qu’il fut, parce que la bande dessinée peut dire beaucoup aussi, avec peu de mots. C’est ce qui me passionne dans mon métier.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
« Piscine Molitor » de Cailleaux et Bourhis, Dupuis collection Aire Libre, 15,50 euros.