Antoine Giner-Belmonte: «Le côté terriblement actuel de Little Big Horn»

La bataille de Little Bighorn opposa l’armée américaine du lieutenant-colonel Custer à une coalition de Cheyennes et de Sioux constituée à l’initiative de Sitting Bull. Ce célèbre épisode des guerres indiennes permet à Antoine Giner-Belmonte de dessiner un passionnant western empreint d’une très actuelle dimension politique.

Après avoir travaillé dans la publicité, vous vous êtes orienté vers la BD grâce à une rencontre avec Christian Rossi. Pouvez-vous expliquez ce qui a provoqué ce déclic?
Antoine Giner-Belmonte. L’approche de la quarantaine et les questions qui vont avec le package. « Où est ce que j’en suis ? Qu’est-ce que je veux vraiment ? » Je l’avais en partie anticipé, j’étais un illustrateur libre et indépendant depuis quelques années mais je faisais surtout des perspectives en 3D pour l’urbanisme et l’architecture et je ne dessinais presque plus. Ce n’était pas ce que je voulais et après ce bref et impitoyable constat j’ai cherché un moyen de me replacer sur ma voie.

Christian Rossi est un peu un mentor pour vous?
A.G-B.
La rencontre avec Christian m’a remis sur les rails d’une manière incroyable tout en m’offrant la possibilité d’être accompagné, donc on peut dire qu’il y a de ça en effet. Mais pour être plus précis, il s’agit davantage d’un passage de témoin, avec comme condition, le devoir de le transmettre à mon tour. Christian, sous ce rapport, c’est le digne héritier de Jijé, il y a pas mal « d’aspirants BD » qui sont passés par son atelier comme Lepage, Bonhomme ou encore Biancarelli pour ne parler que d’eux et qui mine de rien m’enlèvent un peu de pression pour la transmission du flambeau.

Qu’est-ce qu’il vous a appris?
A.G-B. Concrètement, j’ai surtout appris à voir la pratique de ce métier avec une certaine hauteur de vue, une grande exigence et une capacité à beaucoup donner pour satisfaire cette « maîtresse exigeante » qu’est la bande dessinée. J’ai vu chez lui à quoi ressemble un spartiate du dessin ce qui a gravé en moi une vision du très haut niveau, ça m’a donné des échelons de valeurs, une grille de lecture sur laquelle je peux me situer par rapport à mon travail.


Est-ce lui qui vous a donné envie de dessiner un western?
A.G-B. C’est plutôt un point commun. C’est quelque chose qui me vient de mon père en réalité. Quand on partait en Espagne chez mes grands-parents, il achetait et lisait des nouvelles de la collection western « Estefania » dont les couvertures bluffantes à la gouache m’impressionnaient énormément. Et puis, quand je lui demandais un dessin, c’était un cowboy qui apparaissait sur le papier, je les trouvais géniaux et je les redessinais dans mon coin.


Par son caractère mythique, est-ce que le western est un genre particulier pour un dessinateur?
A.G-B. Pour moi ça l’est, pour les raisons évoquées avant et qui sont liées à mon histoire mais aussi parce que, comme d’autres, j’ai été imprégné par ces images véhiculées par le cinéma d’abord, par la bande dessinée, la peinture ou l’illustration ensuite et qui ont développé un imaginaire onirique qui ne m’a pas quitté.

Quelles sont vos influences dans ce domaine?
A.G-B. Aujourd’hui curieusement je regarde davantage du côté des peintres-illustrateurs que la BD ou le cinéma. Pour en citer quelques-uns il y a Remington bien sûr, William Robinson Leigh, N.C. Wyeth, Russel, Dean Cornwell côtés américains, mais aussi Ernest Meissonnier, Detaille, Alphonse de Neuville et autres côtés français.


Il y a beaucoup de mouvement dans vos planches. Quelles sont vos astuces pour les rendre si dynamiques?
A.G-B. Interpréter la réalité du mouvement tout en restant proche des conventions du dessin classique. J’ai remarqué ça chez certains peintres de la fin du XIXe, début XXe siècle qui, avec l’arrivée de la chronophotographie, ont pu comprendre les mouvements tout en les exagérant, ça donne de l’emphase et du dynamisme à l’action.


« Little Big Horn » est une bataille légendaire. Vous vous êtes beaucoup documenté pour dessiner cet album? On retrouve d’ailleurs des photos du général Custer et de Sitting Bull en bonus…
A.G-B. C’est un passage obligé mais non forcé ni contraignant, c’est même une phase passionnante du travail qu’il faut parfois savoir restreindre pour ne pas se perdre. De toute façon, c’est mieux de connaître son sujet et de comprendre les événements pour les retranscrire avec une forme d’authenticité.


Cet album explique bien la dimension politique de cette bataille et la spoliation des terres indiennes par le gouvernement américain. C’était quelque chose d’important pour vous?
A.G-B. Oui, non seulement pour l’intérêt historique, mythologique que Little Big Horn représente mais aussi par son côté terriblement actuel, les intérêts économiques de la guerre, la destruction d’un mode de vie libre, d’unité fragile qui se délite face à une opposition déterminée parmi d’autres choses qui m’ont marquées…


Est-ce que « Little Big Horn » vous a donné envie de dessiner d’autres westerns?
A.G-B. Disons plutôt que ça a conforté mon envie de continuer, je ne m’en lasse pas. J’ai même plutôt l’impression de n’avoir qu’effleuré la surface de l’eau sans m’y être vraiment plongé. De toute manière j’ai en effet la possibilité d’aller plus loin avec un autre western, sur un scénario de Fred Duval cette fois et ce sera une sorte de « Danse avec les loups » dont le personnage principal est un survivant de la bataille de Little Big Horn…

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Little Big Horn » par Antoine Giner-Belmonte, Luca Blengino et David Goy. Glénat. 14,95 euros.

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