JD Morvan : « Mélanger photo et bande dessinée »

JD Morvan poursuit son passionnant travail sur les grands photographes avec deux nouveaux albums assez différents. « Stanley Greene, une vie à vif » dresse le portrait d’un photo-reporter connu pour ses reportages à Berlin, en Tchétchénie ou en Syrie. « Mohamed Ali. Kinshasa 1974 » raconte un combat mythique à travers l’objectif du photo-journaliste Abbas.

Comment avez-vous découvert Stanley Greene ?
JD Morvan. Je m’intéresse à la photo depuis longtemps. Il y a des photo-reporters de guerre extraordinaires. Stanley Greene a une puissance particulière parce qu’on dirait qu’il se moque complètement des aspects techniques. Il le disait lui-même mais ce n’est évidemment pas vrai. Il connait parfaitement la technique photographique, mais il privilégiera toujours une image puissante à une photo léchée. Ça m’avait marqué. 
J’avais donc acheté ses bouquins. Heureusement d’ailleurs, car quand on a commencé la bande dessinée, je me suis rendu compte que l’un de ses livres coutait désormais très, très cher. Les livres de photo sont en général de petits tirages, distribués dans le monde entier. Ils sont donc vite épuisés et souvent pas réimprimés… Ils deviennent très recherchés.

Vous racontez son histoire à la première personne. Vous aviez suffisamment de sources pour reconstruire sa vie ? 
JD M. Ce serait prétentieux de dire que je l’ai reconstruite parfaitement. J’aimerais bien mais c’était un garçon un peu mystérieux. Comme pour presque tous les personnages sur lesquels je travaille, j’ai essayé de me glisser dans sa peau. C’est donc un biopic mais pas seulement. C’est bien sa vie mais je suis obligé d’y ajouter mes propres questionnements.
Souvent, on sait ce que les gens ont fait, mais on ne sait pas toujours ce qu’ils pensaient. Avec Stanley Greene, j’ai eu l’avantage, grâce à son agence Noor, d’avoir accès à une longue interview exclusive de plus de deux heures réalisée par le grand photographe Pep Bonet. Il dit plein de choses qui ne sont dans aucun livre. Ça m‘a servi de ligne directrice. Comme il parle de nombreux sujets différents, j’ai essayé de réorganiser d’une manière organique. On passe d’un sujet à l’autre par leurs liens thématiques plutôt que de suivre une trame linéaire. J’espère que tout se percute bien. 

Son parcours professionnel est marqué par des rencontres fortes…
JD M. Stanley Greene s’est laissé porter par les évènements jusqu’au moment où il s’est dit qu’il était temps d’aller là où se passaient les évènements. C’est un garçon qui a vécu une vie « bohème ». Il vivait dans le milieu punk de San Francisco à la fin des années 70 et au début des années 80. A partir de la chute du mur de Berlin, il prend son destin en main. Il n’envisageait pas cela comme une carrière mais comme un besoin d’aller dire aux gens des choses qu’ils ne voulaient pas entendre. Et bien sûr de montrer ce qu’ils ne voudraient pas voir. Il faut pourtant qu’on les voit ces choses et donc il faut des photographes pour s’y rendre. La photo, si on n’est pas là au bon endroit et au bon moment, on ne peut pas la prendre. Il faut être sur place. C’est ça la force des grands photo-reporters.

Le livre sur Abbas est différent, car il parle aussi beaucoup du combat mythique de Mohamed Ali à Kinshasa en 1974. C’était un choix dès le départ ou qui s’est imposé du fait de la personnalité assez introvertie du photographe ?
JD M. Abbas n’aimait pas parler de lui mais quand je l’ai rencontré, il m’a dit qu’il trouvait qu’on ne le voyait pas assez dans les premières pages. C’était assez marrant. Je lui ai fait remarquer que c’était lui qui racontait toute l’histoire. Mais, effectivement, il y avait beaucoup d’informations à placer sur le contexte international, l’histoire des boxeurs, celle de Kinshasa… et la vie d’Abbas était développée un peu plus tard. C’était intéressant de balayer toute cette période. 

La boxe est un sport très photogénique. On ressent vraiment la tension, l’appréhension, la puissance… dans les photos d’Abbas. C’est un genre que vous appréciez particulièrement ?  
JD M. Comme pour la bande dessinée, je n’ai pas de préférence dans les « genres » photographiques. C’est la force du propos et de l’image qui m’intéressent. Les photos du match sont hyper fortes. Le match en lui-même est aussi très important à beaucoup de niveaux, c’est le reflet d’une époque. Il était donc intéressant de le détailler.

En bonus, on découvre que cette collection Magnum Photos devait au départ se limiter à des histoires courtes de huit pages…
JD M. Cela a évolué en parlant avec Clément Saccomani, le directeur du publishing de Magnum à l’époque. Il trouvait que c’était un peu court en huit pages. Il avait raison car j’ai l’impression de ne pas en avoir raconté assez en une petite centaine de pages. On a donc évolué vers ce concept d’un album par photographe avant même d’avoir trouvé un éditeur. Cette collection s’est montée sur une vraie envie de mélanger photo et bande dessinée (comme l’avait fait Emmanuel Guibert avec « Le photographe ») de l’agence Magnum. Et Abbas a validé le concept. Aujourd’hui c’est Naïma Kaddour qui suit le projet, et ça se passe très bien.

L’intégration de photos au cœur des planches fonctionne très bien. Comment expliquez-vous que ces deux arts ne soient pas plus souvent réunis comme justement dans « Le photographe » d’Emmanuel Guibert et Didier Lefèvre ?
JD M. Quand ça sort des habitudes, c’est parfois un peu surprenant. Il y a peut-être des lecteurs qui se demandent si c’est une bande dessinée ou un livre de photos. Alors que tout l’intérêt est là. Il faut faire un pas sur le côté. Les deux sont complémentaires. On n’est pas obligé d’expliquer le contexte d’une grande photo. La bande dessinée apporte le contrepoint. On va raconter ce qui a amené le photographe là. C’est intéressant, mais cela n’a pas la même temporalité, je dirais.

Le photographe raconte une histoire avec une seule image. C’est quelque chose qui vous fascine ?
JD M. C’est extraordinaire. C’est pour cela qu’on n’a jamais redessiné une photo dans cette collection. C’est quelque chose que l’on a décidé dès le début. Une photo, c’est un instant fugace. On ne peut pas non plus dire qu’une photo soit tout à fait la vérité. Si je vous prends en photo en rafale, vous allez sourire puis, un quart de seconde plus tard, avoir l’air triste. C’est au photographe de choisir ce qu’il veut dire de vous, ou de la situation. Toute la force d’un photographe (et sa déontologie), c’est de choisir la photo qui retranscrit le mieux le moment qu’il a vécu.

Est-ce que votre passion pour la photographie a influencé votre façon de raconter une histoire en bande dessinée ?
JD M. Je le pense, car tout m’influence. J’ai été influencé par le manga, la bande dessinée franco-belge et les comics en même temps. Mais la photo est puissante pour moi, car c’est de l’image pure. Je me sens pleinement scénariste, car ce qui m’intéresse, c’est de raconter par des images. Les mots servent à transmettre des idées. J’essaie d’avoir des dialogues intéressants, mais surtout de transmettre de l’énergie. C’est presque comme cela pour une photo. Ça ne me dérangerait pas que les gens oublient les histoires du moment qu’il leur reste le souvenir de l’émotion qu’ils ont eu en refermant l’album.

D’autres titres sont prévus dans la collection Magnum Photos ?
JD M. J’ai d’autres contacts avec de grands photographes. Aucun n’est signé pour le moment mais j’espère que cela ne va pas tarder…

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Stanley Greene, une vie à vif » par JD Morvan et Tristan Fillaire. Delcourt. 18,95 euros.
« Mohamed Ali. Kinshasa 1974 » par JD Morvan et Rafael Ortiz. Dupuis. 24,95 euros.

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