Festival d’Angoulême 2020 : le palmarès officiel
Le Fauve d’or du 47e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême revient à Révolution, Liberté (Tome 1) » de Florent Grouazel et Younn Locard.
Le palmarès officiel 2020 du 47e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême a été annoncé. Le Prix du Meilleur album, le Prix spécial du jury, le Prix de la série et le Prix Révélation ont été choisis parmi les 43 albums de la sélection officielle (lire notre article du 2111/19).
- Fauve d’Or prix du meilleur album: « Révolution, Liberté (Tome 1) » de Florent Grouazel et Younn Locard, chez Actes Sud – L’An 2 . Le premier volet de ce récit choral se focalise sur l’année 1789 et fait souffler le vent de la Révolution dans la rue. Ce projet titanesque savamment documenté a été mené à quatre mains par deux jeunes auteurs qui retracent la période révolutionnaire dans un bouillonnement graphique resplendissant, inspiré par l’imagerie de l’époque.
- Prix spécial du jury: « Clyde Fans » de Seth, chez Delcourt. Fruit d’un travail commencé voilà vingt ans, Clyde Fans raconte l’histoire de deux frères qui ont hérité de l’entreprise de leur père après que celui-ci les a abandonnés. Le Canadien Seth, dont le graphisme tout en élégance est empreint d’une petite pointe de nostalgie, n’a pas son pareil pour raconter des histoires intimes qui touchent à l’universel de la condition humaine.
- Prix de la série: « Dans l’abîme du temps » de Gou Tanabe et H.P. Lovecraft, chez Ki-oon. Après « Les Montagnes hallucinées », Gou Tanabe poursuit son adaptation des romans du maître de l’horreur, H.P. Lovecraft. Quittant l’Antarctique pour le désert australien, d’un trait noir au réalisme oppressant, le mangaka dessine l’indicible et donne corps à ce chef-d’œuvre SF cauchemardesque qui combine un voyage dans le temps et un terrifiant transfert de personnalité.
- Prix révélation: « Lucarne de Joe Kessler », chez L’Association . Ces cinq histoires courtes imprégnées de couleurs fortes traduisent les sensations les plus intimes des personnages. Une expérience graphique et narrative singulière, signée par le directeur artistique de l’éditeur anglais Breakdown Press, pour dire la peur, le plaisir ou les odeurs, soutenue par une narration hypnotique et une vision originale du monde.
- Prix jeunesse: « Les Vermeilles » de Camille Jourdy, chez Actes Sud BD.
- Prix Jeunes adultes: « Le Tigre des neiges (Tome 4) » d’Akiko Higashimura, chez le Lézard Noir.
- Prix de l’audace: « Acte de Dieu » de Giacomo Nanni, chez Ici Même. Le 24 août 2016, en Italie, un séisme causait la mort de 298 personnes et faisait près de 400 blessés. Giacomo Nanni piège l’instant dans un récit choral qui fait parler la montagne, s’attarde sur un chevreuil égaré devant un supermarché et traque la licorne dans le viseur de deux chasseurs. Son ode panthéiste confronte l’homme à la nature et la création au chaos, dans un magma graphique pointilliste et médusant.
- Prix du patrimoine: « La Main verte et autres récits » de Nicole Claveloux et Edith Zha, chez Cornélius. Premier volume d’une anthologie consacrée à Nicole Claveloux, peintre, illustratrice jeunesse et dessinatrice de bande dessinée, passée par les magazines Métal hurlant et Ah! Nana. Recueil d’histoires poétiques rehaussées de couleurs flamboyantes, La Main verte décrit un monde absurde et drôle dans lequel la réalité joue à cache-cache avec la raison.
- Fauves d’honneur: Yoshiharu Tsuge, Nicole Claveloux et Robert Kirkman.
Yoshiharu Tsuge débute en 1954 en écrivant des histoires pour les librairies de prêt et collabore dès 1965 à la revue Garo. En 1966, il arrête provisoirement de dessiner ses propres histoires et devient l’assistant de Shigeru Mizuki. Son trait se fait plus détaillé, ses décors plus fouillés. Mais c’est en 1968 qu’a lieu un bouleversement fondateur, avec la parution dans « Garo » de l’emblématique « Nejishiki (La Vis) ». Dans ces 24 pages aux accents psychanalytiques, Tsuge révèle une nouvelle facette du manga, convoquant les symboles, l’intimité et le rêve. Durant la décennie suivante, il ne cesse de développer cette approche, constituant un corpus d’une extrême cohérence. Ses nouvelles sombres, aux accents mélancoliques, mettent en scène des voyageurs solitaires, des familles dysfonctionnelles, des exclus – autant de personnages derrière lesquels Tsuge transparaît – et révèlent en filigrane une certaine volonté de s’effacer du monde. Alternant phases de dépression et productivité délirante, Tsuge fait une pause une première fois en 1981. Il revient au manga entre 1984 et 1987, avec les récits qui forment « L’Homme sans talent » – ultime recueil au titre hautement symbolique. Il ne conclura jamais, son élan étant interrompu par l’écriture d’une nouvelle indépendante, « Betsuri (Séparation) », où il confesse une tentative de suicide dans sa jeunesse. Tsuge a toujours transformé son passé en fiction – donnant naissance au watakushi manga ou “manga du moi” – et semble avoir par ce geste essayé de se délivrer du poids de sa mémoire. Son œuvre reste inachevée – mais sa quête personnelle est peut-être enfin terminée.
“A toujours aimé les images, les dessiner et les regarder: livres illustrés, tarots, enluminures, affiches, réclames, images pieuses et images érotiques, Vache qui rit, BD, ex-libris, culs-de-lampe, rébus…” Ainsi se présente Nicole Claveloux sur son site internet. Tour à tour rêveur, acerbe et décalé, son imaginaire unique imprègne ses récits. Magnifiés par un dessin habité aux couleurs hypnotiques, ses livres émerveillent des générations de lecteurs. Elle a 28 ans quand l’éditeur jeunesse d’avant-garde Harlin Quist publie ses premiers ouvrages – dont « The Secret Journey of Hugo the Brat », que le New York Times classe parmi les dix meilleurs livres de 1968. En 1973, elle rejoint Okapi, le bimensuel des 10-15 ans lancé deux ans auparavant. Elle y réalisera pendant une vingtaine d’années des planches d’une incroyable modernité et y créera des personnages savoureux comme Grabote, Louise XIV, Cactus Acide et Beurre Fondu. En 1976, Nicole Claveloux participe, aux côtés notamment de Chantal Montellier et Florence Cestac, à l’éphémère aventure d’Ah!Nana, un trimestriel entièrement réalisé par des femmes sur le modèle de l’américain Wimmen’s Comix. Elle y met son inventivité, sa fantaisie et son sens de la dérision au service de bandes dessinées joyeusement iconoclastes. Après l’arrêt brutal de la revue, elle poursuit l’expérience chez Métal hurlant et Charlie mensuel. Elle publie trois bandes dessinées aux Humanoïdes Associés entre 1978 et 1980 et revient par la suite régulièrement à ce mode d’expression – une anthologie à paraître chez Cornélius en 2020 permettra de redécouvrir ce pan de son travail. En parallèle, Nicole poursuit une carrière bien remplie d’illustratrice jeunesse, publiant chez de nombreux éditeurs dont Christian Bruel. A ses dialogues souvent subversifs, Nicole Claveloux associe un trait qui puise ses influences autant chez Jérôme Bosch que chez Wilhelm Busch ou Winsor McCay. Noir et blanc, couleurs ; trait, hachures ; à-plat, modelé: elle jongle avec les styles et les techniques. Son goût pour la recherche plastique s’exprime aussi à travers des dessins érotiques dans les années 2000 et de nombreuses peintures. Son inventivité, l’originalité profonde de son monde intérieur la placent aux côtés des plus grands plasticiens de la bande dessinée de son époque, à l’instar de Bilal, Druillet ou Mœbius.
De Robert Kirkman, le grand public connaît surtout « Walking Dead », série au succès mondial débutée en 2003 en collaboration avec Tony Moore, puis Charlie Adlard, où quelques survivants doivent affronter des hordes de zombies sur une terre ravagée par une mystérieuse apocalypse. L’adaptation télévisée sur AMC, à laquelle le scénariste a étroitement collaboré, est devenue rapidement l’une des séries les plus marquantes et populaires des années 2010. Mais ce n’est que la partie la plus visible d’une œuvre aussi hybride que fascinante, où émergent chez le scénariste, né en 1978, des préoccupations résolument adultes. Robert Kirkman, en fin connaisseur de la culture pop, n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’il évolue dans les interstices et les marges d’une production mainstream, où il questionne la cellule familiale comme dans Invincible (2002-2018) et « Outcast » (en cours), ou encore les relations au sein de communautés humaines contraintes de se réinventer, comme dans « Walking Dead » (2003-2019) et « Oblivion Song » (en cours). Il s’y interroge aussi sur les modes de création à l’œuvre dans l’industrie du comics. Par son engagement au sein de la maison d’édition Image Comics, Kirkman a cherché en effet à s’affranchir des contraintes éditoriales et artistiques afin de creuser un sillon singulier, qui doit autant aux lectures de son enfance qu’à sa volonté de renouveler certains genres parmi les plus emblématiques (science-fiction, horreur, superhéros). Un goût pour les dialogues ciselés, l’influence perceptible des séries B et Z, le recours à une violence parfois outrancière et l’irruption d’un humour souvent décalé font ainsi de Robert Kirkman un digne émule de Quentin Tarantino dans la culture pop contemporaine.
- Fauve polar SNCF: « No direction » d’Emmanuel Moynot, chez Sarbacane . Dans ce road movie de papier en forme de récit choral, Moynot suit deux tueurs en série dans leur course folle à travers l’Amérique, à la manière d’un cinéaste filmant caméra à l’épaule. Épopée sanglante et sans espoir, vouée à l’échec et à la violence, No Direction est une comédie humaine en vingt chapitres qui cueillent le lecteur à l’estomac comme autant de coups de poing.
- Prix de la BD alternative: Komikaze (Croatie).
- Prix du public France Télévisions: « Saison des roses » de Chloé Wary, chez FLBLB. Barbara passe le bac. Elle habite avec sa mère dans la banlieue ordinaire de Rosigny-sous-Bois et ne vit que pour son club de football. Mais cette année, les dirigeants ont décidé de favoriser l’équipe masculine, empêchant l’inscription des joueuses au championnat. Avec ses feutres, Chloé Wary met ses couleurs vives au service du récit, pour saluer l’engagement de l’équipe sur le terrain collectif du foot et de la lutte féministe.
- Prix Découvertes: Le prix des écoles d’Angoulême à « La Quête d’Albert » d’Isabelle Arsenault, chez La Pastèque; Prix des collèges à « Obie Koul, Un week-end sur deux chez mon père (Tome 1) » de Pierre Makyo et Alessia Buffolo, chez Kennes; Prix des lycées à Le « Voyage de Marcel Grob » de Philippe Collin et Sébastien Goethals, chez Futuropolis.
- concours de la BD scolaire: Le Prix d’Angoulême de la BD scolaire à Alex Adamiak; le Prix Espoir à Gaspard Mérigalet; le Prix du Scénario à Sapho Ferrone; le Prix du Graphisme à Adrien Nunez Béchet.
- Prix Jeunes Talents: Adèle Maury.
- Prix Jeunes Talents région: Clémence Sauvage .
- Prix Drawmecomics: « Fringale Rurale », de Simon Boileau et Florent Pierre .