Vincent Zabus: « Confronter le lecteur à une dure réalité »

Magnifiquement mis en image par le trait élégant de Thomas Campi, « Autopsie d’un imposteur » mélange le polar et la chronique sociologique. Son scénariste Vincent Zabus voulait parler d’ascension sociale avec une histoire assez noire. Le pari est plus que réussi.

« Autopsie d’un tueur » parle d’ascension sociale. C’est un thème qui vous tient à cœur?
Vincent Zabus.
Je trouve que c’est un sujet intéressant et peu traité. Qu’arrive-t-il à ces gens qui essaient de changer de classe sociale? C’est un vrai sujet sociologique. Parvient-on réellement à quitter la pauvreté, par exemple? Est-ce possible dans notre société? À quel prix? Ça m’intéressait d’en parler, mais je voulais créer un cadre narratif pour ne pas aborder le sujet de façon trop frontale. D’où l’idée de traiter du sujet dans un polar.

Votre récit peut questionner le lecteur sur jusqu’où il est prêt à aller pour réussir. C’est aussi le but?
V.Z.
J’espère toujours que mes albums permettent au lecteur de s’interroger sur notre monde. J’ai écrit une histoire assez noire, en espérant confronter le lecteur à une dure réalité à laquelle il ne pourra rester indifférent.

Il est important qu’une œuvre suscite la réflexion?
V.Z.
Oui. Un plaisir de lecture d’abord. Et aussi une source de réflexion. L’histoire confronte le lecteur à une certaine vision du monde. Et du coup, il s’interroge sur la sienne.

Pourquoi avoir situé cette histoire dans le Bruxelles des années 50?
V.Z.
Je voulais écrire une fable, pour ne pas rester dans un cadre trop réaliste. La distance temporelle me permet de donner un recul, de traiter une époque un peu mythique. De plus, le choix de l’Expo de 1958 n’est pas un hasard. C’est un moment charnière, où on a une grande confiance en la science, dans le progrès. C’est le « tout à la voiture », tout aux énergies fossiles. D’un point de vue climatique, ces choix nous ont menés dans le mur aujourd’hui, mais à l’époque, on perçoit cela comme une chance unique de s’inscrire dans le progrès, l’avenir. Donc Louis, notre personnage principal, voit là une occasion unique de s’élever socialement, de changer le cours de sa vie. C’est ironique, montrer que ce qui était considéré comme l’avenir est justement ce qui nous risque de nous en priver aujourd’hui.

C’est votre sixième collaboration avec Thomas Campi. Cette histoire était faite pour lui?
V.Z.
J’ai en effet écrit ce récit pour lui. Je trouvais que les années 50 et le polar lui convenaient particulièrement bien. Il est capable de créer des atmosphères uniques, avec son dessin, ses couleurs. J’ai aussi choisi une narration avec une voix off et des cases plus illustratives que dans l’action. Cela convient particulièrement à son dessin qui crée à merveille des ambiances, des cases plus contemplatives. Du coup, il a renouvelé sa technique, en dessinant d’abord tout au crayon, avec un noir assez charbonneux et un gros travail sur la lumière. Puis, il a retravaillé l’ensemble avec des couleurs très denses, ce qui est une de ses grosses qualités.

Dans les premières pages, mais aussi un peu plus tard dans l’histoire, vous faites discuter votre personnage principal avec le narrateur. Que vous apporte ce procédé narratif?
V.Z.
Cela donne une épaisseur, du caractère au narratif. Je trouve dommage de limiter les narratifs à des descriptions, des transitions. Je donne une personnalité au narrateur, il prend position par rapport aux actions de Louis, le personnage principal. Ce faisant, je crée une dynamique, un point de vue. C’est plus vivant, plus surprenant. Attilio Micheluzzi procédait ainsi dans nombre de ses BD. Je trouve le procédé original et très efficace. J’aime chercher, inventer des procédés qui renouvellent le langage de la BD. J’essaie que ce ne soit pas gratuit, toujours au service de la narration. Je trouve que cela donne un style, une couleur, au récit.

Avant que l’histoire bascule dans le polar, on est déjà happé par votre récit. Il était tout de même important d’apporter cette dimension policière, d’accélérer le rythme?
V.Z.
Oui. Pour donner un plaisir de lecture. Le polar permet de créer un suspens, une tension. Cela donne envie de tourner les pages pour savoir ce qu’il va se passer.

« Autopsie d’un tueur » montre également comment un individu lambda peut se transformer en assassin. C’est quelque chose que l’on découvre souvent dans des faits divers. Cela vous a influencé?
V.Z. C’est une façon d’aborder un sujet philosophique. Jusqu’où va-t-on pour atteindre son but? La fin justifie-t-elle les moyens? À notre mesure, nous sommes tous les jours confrontés à ce genre d’interrogation fondamentale. J’aime que mes histoires soient traversées par un sujet de fond.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Autopsie d’un imposteur » par Vincent Zabus et Thomas Campi. Delcourt. 18,95 euros.

Share