Olivier Jouvray: « Le cœur de cette œuvre »

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Dans cette nouvelle adaptation de « Moby Dick » superbement mise en images par Pierre Alary, le scénariste Olivier Jouvray s’est focalisé sur les symboliques du roman de Melville.

En lisant le dossier de presse, on a l’impression que vous avez accepté cette adaptation avant de découvrir le livre de Melville ?
Olivier Jouvray. mobydick1.jpgCe n’est pas qu’une impression. Clotilde Vu nous a proposé à Pierre Alary et moi-même de travailler ensemble sur l’adaptation d’un classique de la littérature et c’est Pierre qui a proposé le roman de Melville. J’avais envie de travailler avec lui et l’idée de m’attaquer à l’adaptation d’un tel monument était excitante. C’est comme de proposer l’Everest à un alpiniste. S’il se sent prêt, c’est irrésistible.

Dans quelle mesure avez-vous pris des libertés dans cette adaptation ?
O.J. « Moby Dick » est un roman que tout le monde connaît, mais que peu ont lu finalement. Les rares lecteurs que je connais l’ont fait assez jeune, sans réellement saisir les subtilités et la symbolique de cette œuvre. Parfois même, ils avouent avoir sauté de grands passages parce qu’il faut bien le dire, c’est une lecture assez ardue vu qu’une grande part de l’histoire détaille par le menu les techniques de la pêche au cachalot. J’ai voulu raconter l’histoire telle que Melville la propose, mais je l’ai intégralement réécrite. J’ai enlevé des passages descriptifs, des personnages secondaires, pour me concentrer sur ce qui représente le cœur de cette œuvre.

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Est-ce que le plaisir est différent pour un scénariste quand on adapte un livre ?
O.J.
Complètement. Mais ce n’est pas plus facile pour autant de mon point de vue.

Est-ce que vous vous êtes focalisé sur le livre de Melville ou avez-vous jeté un œil sur ces différentes adaptations ?
O.J. Je m’y suis intéressé après avoir lu le livre, mais avant d’avoir écrit le scénario et ça m’a permis de voir sur quels points je pouvais prendre mes distances. Je trouve souvent que les adaptations ne s’intéressent surtout qu’au côté « aventure dangereuse » de ce roman, et peu à l’aspect symbolique. Sans tomber dans la psychanalyse de l’œuvre, j’ai voulu faire ressortir certains enjeux de manière plus évidente.

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Quelle thématique vous intéressait en priorité dans cette histoire ?
O.J. Il y a d’abord le chemin d’Ishmaël, celui qui nous raconte cette histoire, un homme qui décide de se confronter à un grand danger pour se redonner le goût à la vie. C’est une thématique souvent abordée dans la littérature. Très romantique, très adolescente. On a besoin de se confronter à ses limites, de sentir le souffle du danger sur sa nuque pour que la vie retrouve tout son intérêt.

Il y a aussi le chemin d’Achab. Cet homme a une vengeance à accomplir. Ce n’est pas une vengeance contre un animal, c’est une vengeance contre une figure mythologique, une divinité des mers. Sa quête est blasphématoire. Il revendique son droit de tuer un dieu parce qu’il se sent supérieur. Il est prêt à vendre son âme au diable pour vivre son destin, même s’il lui sera fatal. Ce sont ces deux sujets, ces deux personnages qui ont motivé mon travail.

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On découvre une vraie progression dans la folie du capitaine Achab. C’est une clé importante de l’histoire ?
O.J. Sa folie n’évolue pas, car elle était déjà complète dès qu’il a décidé de tuer « Moby Dick ». C’est le lecteur qui prend conscience de l’ampleur de cette folie en avançant dans l’histoire. Il comprend que cette folie est une folie pensée, construite, pragmatique. Achab n’a pas perdu la raison. Il a décidé de son destin et c’est un chemin dont on ne dévie pas et dont on ne revient pas parce qu’elle implique de renoncer à son humanité.

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« Moby Dick » symbolise la lutte du bien et du mal. Sauf qu’aujourd’hui, on ne prend plus forcément parti pour le capitaine Achab et cette histoire peut aussi monter la suprématie de la nature sur l’homme ?
O.J. 
Je crois que ce roman ne parle pas de la lutte contre le bien et le mal justement. Moby Dick n’est pas un animal qui veut du mal à qui que ce soit. Moby Dick « est » tout simplement. C’est un animal qui se défend quand on l’attaque évidemment, mais si personne ne va le chercher, il n’ira pas de lui-même embêter qui que ce soit. Il y a de nombreuses façons d’interpréter ce récit, car chaque personnage porte en lui une part de l’histoire humaine. Par exemple, on peut voir en Achab une allégorie de nos dirigeants politiques. Ces hommes qui affirment avoir une vision de l’avenir, qui mènent souvent leur peuple vers un funeste destin, mais que tout le monde semble suivre néanmoins. Ishmaël incarne la parabole du conteur, celui qui est tout à la fois dans l’histoire et en dehors parce qu’il sera le seul à devoir raconter ce qui s’est passé. Le second de l’équipage, Starbuck, qui est le seul à oser se dresser contre la folie de son chef, mais que personne n’écoute, est à lui seul une illustration du fameux proverbe « Nul n’est prophète en son pays ». Réduire Moby Dick à une histoire de la lutte du bien contre le mal, c’est passer complètement à côté de l’œuvre de Melville. J’espère que mon travail permettra de comprendre cela et donnera envie d’aller se frotter au roman.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Moby Dick » par Olivier Jouvray et Alary. Soleil. 17,95 euros.

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