Laetitia Coryn: « La vie s’apprend aussi dans la cour »

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Pendant une année scolaire, Laetitia Coryn a observé, depuis sa fenêtre, la vie d’une cour d’école primaire. « Fenêtre sur cour d’école » raconte avec beaucoup de tendresse cette expérience passionnante.

Dès que vous avez ouvert cette fenêtre sur une cour d’école, vous avez pensé à cet album ?
Laetitia Coryn. Je n’y ai pas pensé tout de suite, mais ça n’a pas pris beaucoup de temps. Il y avait déjà eu des interactions entre nous (mon copain et moi) et les enfants de la cour au tout début de l’emménagement dans l’appartement. On s’amusait souvent à les observer par l’unique fenêtre qui donnait vraiment sur la cour d’école. Puis un jour, j’ai trouvé le titre, ça m’a fait marrer et j’ai eu envie de raconter ce que je voyais, un peu comme une petite souris. Parce qu’il n’y a pas que des récréations dans une cour. Il y a sport, centre aéré, fête des profs, kermesse,… Il se passe mille choses à la minute dans une cour de récré.

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En général, les BD sur l’école sont très premier degré et plutôt à destination des enfants. Pourquoi ce regard adulte ?
L.C.
Je ne me suis pas posé la question en fait. C’est surtout de l’observation et de la retranscription du réel. Je n’ai pas inventé grand-chose dans ce livre. J’y ai mis mes ressentis et impressions, mais il n’y a rien d’analytique.

Est-ce de la nostalgie ?
L.C.
Pas vraiment. Plutôt de la curiosité. Quand j’étais en primaire, je n’aimais pas la récré. Il y a avait trop de bruit, il faisait souvent froid, c’était trop long, je m’ennuyais, je trouvais que c’était une perte de temps. J’avais fait le calcul que si on supprimait les pauses, on pouvait sortir vachement plus tôt. Et sinon, la cour était synonyme de sport. Quelle horreur ! Puis on se fait emmerder quand on est petit, les autres enfants sont parfois cruels. Mais ce qui est marrant, c’est qu’en les observant, je me suis reconnue en eux, j’ai reconnu des caractères universels de mômes (schtroumpf meneur, schtroumpf premier de la classe, schtroumpf sportif,…) et je me suis rendue compte que tous les gosses vivent à peu près la même chose. L’éducation et l’apprentissage de la vie se font aussi bien dans la classe que pendant la récré.

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Est-ce que vous avez observé beaucoup de récréations ?
L.C.
Je me suis inspirée des enfants de deux écoles pour ce livre : Joseph de Maistre dans le 18e (c’est la cour de l’album) et Le Vau dans le 20e arrondissement de Paris. Au début, il me suffisait d’aller à la fenêtre de mon appart. Pratique ! Là pour le coup, c’était très naturel puisque j’ai vécu au dessus pendant six mois, donc pas d’effort à fournir pour les observer. Puis on a déménagé. Mais le projet n’a pas été abandonné pour autant parce que j’ai été intervenante à l’école Le Vau et que je devais les surveiller tous les mardis, carrément dans la cour cette fois-ci. J’ai d’ailleurs beaucoup plus dessiné les enfants de Le Vau dans l’album, parce que je les ai connus. On faisait des ateliers conte musical ensemble.

Est-ce que vous les entendiez ?
L.C.
Ouiiii, on les entendait tout le temps ! Le double vitrage atténue beaucoup, mais ça ne suffit pas. On avait l’impression qu’ils étaient en récré toute la journée !



Alors, pourquoi cette économie de mots ?
L.C. 
C’est à la fois un concours de circonstances et une volonté de ma part. Il y avait trop de brouhaha, je ne pouvais que très rarement discerner ce que les uns ou les autres disaient précisément. Une fois, on a laissé la fenêtre ouverte et sans voir ce qui se passait, on a entendu très clairement à plusieurs voix « Le bisou ! Le bisou ! ». Du coup je l’ai mis dans l’album, parce que je l’ai entendu. Sinon, pour les plans d’ensemble de la cour par exemple, je voulais que le lecteur fasse marcher sa mémoire auditive, parce que c’est ce que j’ai fait. Sans le vouloir d’ailleurs, quand je les dessine, je les entends. Si les mots n’en disent pas plus que les images, alors il n’y en a pas besoin, du moins c’est mon avis.

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La scène la plus bruyante concerne le match de foot du mercredi après-midi. Parce que le centre aéré, c’est très différent de l’école ?
L.C.
On entendait toujours le même surveillant à Joseph de Maistre. Sa voix se dégageait de celle des enfants, mais on a mis longtemps à comprendre ce qu’il disait. Un jour, mon copain a assisté à un centre aéré et il m’a raconté qu’en fait, le pion faisait les commentaires de foot pendant que les enfants jouaient. C’était ça depuis le début. Donc au contraire, il a fallu un centre aéré avec très peu de gamins et donc beaucoup moins de bruit pour réussir à discerner ce qui se passait. Mais qu’ils soient en centre aéré ou en cours de sport, c’est le même niveau de décibels !

Graphiquement, avez-vous réalisé les dessins en temps réel ?
L.C.
Non, rien n’a été fait en temps réel. J’ai tout noté, j’ai parfois fait un petit croquis des enfants pour me souvenir de la tête ou des vêtements qu’ils avaient. En plus l’album a été réalisé en deux temps : une première version de 22 pages pour la collection POING ! en autoédition, puis une version longue de 92 pages pour Dargaud. J’avais mon carnet de notes sur moi en cour de récré à l’école Le Vau et je notais ce que je voyais. Ensuite je retranscrivais ce qui me paraissait intéressant sous forme de pages en noir et blanc, puis passage à la table lumineuse pour la couleur à l’aquarelle.

Vous avez rapidement identifié les enfants et leur caractère ?
L.C.
Oui, forcément. Rue Joseph de Maistre, j’ai eu un peu de mal à discerner les enfants. Par contre le surveillant m’a beaucoup inspirée et je l’ai trouvé tellement cool avec les mômes que c’est devenu un peu le fil conducteur de l’album. En revanche quand je suis arrivée rue Le Vau, j’ai bien connu les enfants puisque je les avais en classe avec moi. Je me suis aperçue que je les avais dessinés parfois sans le vouloir vraiment. J’en ai dessiné certains sciemment, mais pas tous.

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Cette position de voyeur ne vous a jamais mise mal à l’aise lorsque les enfants étaient très cruels entre eux ?
L.C. 
Pas vraiment. Effectivement, ça peut être choquant parfois de voir comment les enfants se parlent ou se comportent entre eux. Mais on l’a tous fait, on est tous passés par là et on s’en remet tous a priori. Et puis ce qui peut sembler être de la cruauté est encore surtout de l’innocence, enfin c’est ce que je crois. J’aurais vu les mêmes choses dans un collège ou un lycée, là j’aurais pu me sentir mal à l’aise. Mais pas en primaire. C’est vrai qu’on parle beaucoup de la cruauté des enfants, mais on oublie aussi qu’ils peuvent être très mignons. Ils se font des bisous, des câlins, ils ont des combinaisons secrètes hyper complices. Même s’il y a des prises de bec, ça ne dure jamais très longtemps. Ça, c’est quelque chose que j’ai remarqué en observant ces cours d’école : les enfants vont très vite. Ils peuvent passer d’une chose à une autre sans problème. Ils zappent !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Fenêtre sur cour d’école » Par Laetitia Coryn. Dargaud. 15,99 euros.

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