Kid Toussaint: «Un côté cartoon à la Hanna-Barbera»

Des coureurs inexpérimentés, de la triche, du dopage à base de mort-aux-rats, un parcours approximativement balisé ou encore de graves problèmes de déshydratation sous une chaleur accablante, le marathon des Jeux Olympiques de 1904 a vraiment été «La course du siècle». Kid Toussaint revient sur cette histoire rocambolesque et souligne les parallèles avec les dérives actuelles du sport business.

Comment avez-vous découvert cet incroyable marathon des Jeux Olympiques de 1904?

Kid Toussaint.
C’est un ami (Mollo pour le citer) qui m’a soufflé l’information. Il m’a envoyé un article en anglais et ça m’a plu. Ça me permettait une narration chorale que j’aime particulièrement et un côté cartoon à la « Hanna-Barbera » qui m’amusait. Puis, vu qu’il s’agit d’un marathon historique, quelque part, la structure était déjà là.

Est-ce qu’il a été facile de trouver de la documentation sur le marathon mais aussi sur ses coureurs?

K.T.
Pas du tout au début. Mais la magie d’internet fait qu’en creusant un peu, on finit par trouver. Quand j’ai commencé à travailler sur le projet, il y a plus de cinq ans, la page Wikipédia du marathon n’existait même pas. Aujourd’hui, on y trouve plus d’informations que dans notre album.


Comment avez-vous choisi les cinq coureurs que vous suivez plus particulièrement? Pourquoi ne pas avoir inclus l’unique Français Albert Corey parmi eux?

K.T.
Pourquoi Albert Corey plus qu’un autre ? Par patriotisme ? Ils étaient 32 partants et il fallait bien faire un choix. Des personnalités sortaient du lot et me permettaient de raconter certaines choses. Avec Lorz et Hicks par exemple, c’est ce qui pousse ces gens à courir. Le cas particulier de Mashiani et Taunyane m’intéressait aussi. Et puis, l’énigme Carvajal.



James E. Sullivan organise cette course dans le but de démontrer la puissance américaine face à la vieille Europe, mais aussi de prouver la supériorité sportive de l’homme blanc. On est loin de l’esprit de Pierre de Coubertin?

K.T.
Coubertin et Sullivan ne s’appréciaient visiblement pas… mais sans doute plus pour des raisons politiques et d’influences que pour des questions philosophiques et sociales. Il faut remettre cela dans un certain contexte aussi. On est avant la Première Guerre mondiale, au temps des colonies, l’eugénisme est à son sommet. C’est une toute autre vision du monde. Cependant, comme toute personne qui se penche sur l’Histoire, je parle avant tout de notre époque. Sullivan me permet un parallèle avec des stades climatisés, une absence de respect des droits de l’homme, des candidats qui endettent leur ville pour des générations afin de faire une belle vitrine pour eux-mêmes ou pour leur politique.


James E. Sullivan utilisera ensuite cette course comme une sorte de laboratoire pour étudier les effets de la déshydratation ou le dopage. Aucun coureur ne s’est révolté face aux conditions de course inhumaines?
K.T.
Si c’est le cas, ça n’a pas eu beaucoup d’écho. Mais à nouveau, il faut remettre cela dans le contexte. Le sport n’est alors pas professionnel. Ce sont uniquement des amateurs qui y participent, parfois en ignorant complètement les règles (qui varient d’ailleurs selon les pays et les époques). Sur cette course en particulier, plusieurs participants n’ont jamais couru de marathon de leur vie, voire même de course tout court. La meilleure façon de protester était donc d’abandonner. Et ils sont nombreux à l’avoir fait. Là encore, le parallèle avec notre époque est vite fait : aujourd’hui, les joueurs professionnels de football jouent plus de matchs officiels que jamais (pour des raisons économiques évidentes) et cette année, le nombre de blessures atteint des records. Pourtant, personne ne se plaint. On peut sans doute observer la même chose dans le cyclisme et d’autres sports professionnels particulièrement populaires.

José Luis Munuera donne beaucoup de dynamisme à ses coureurs et montre également parfaitement leur épuisement et leur détresse. Il était important d’avoir un dessin en parfaitement adéquation avec le sujet du livre? 

K.T.
Oui ! José-Luis est clairement un dessinateur de mouvement… mais on s’est rendu compte que le « marathon » avait finalement très peu de mouvements et risquait de devenir très vite – paradoxalement – statique en bande-dessinée. Heureusement, J.L a aussi un sens de l’humour aigu et une capacité à dynamiter une séquence qui pourrait sembler plus « molle » ou répétitive. Au final, il se passe toujours quelque chose dans ses cases et je pense qu’on ne s’ennuie pas une seconde.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

«La Course du siècle» par Kid Toussaint et José Luis Munuera. Le Lombard. 19,95 euros.

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