Jean-Yves Delitte : «Black Crow, c’est l’amour que je porte pour la mer»


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Peintre officiel de la Marine, Jean-Yves Delitte aime embarquer ses lecteurs à bord de vieux gréements et leur faire partager son amour de la mer. Après deux albums consacrés au Belem et à l’Hermione, le dessinateur du Neptune lance une nouvelle série maritime centrée sur un mercenaire indien durant la guerre d’indépendance américaine.

D’où vient cette passion pour les bateaux ?
Jean-Yves Delitte. Certains s’émerveillent devant vingt-deux types qui courent après une balle ou des mécaniques qui vrombissent pendant vingt-quatre heures ; moi, c’est l’air du large, les embruns qui me font rêver. Une passion ne s’explique pas réellement, elle se vit et la bande dessinée me permet de vivre de merveilleuses aventures. De m’improviser capitaine au long cours sans pour autant avoir une quelconque barrette sur les épaules.



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Comment êtes-vous devenu peintre officiel de la Marine ?
J.-Y.D. On ne devient pas peintre officiel de la Marine, on est nommé. C’est le hasard de la vie qui un jour m’a permis de croisé un POM (peintre officiel de Marine) : Michel Dumont. Cet artiste avait été séduit par mon travail sur le « Belem » et il trouvait regrettable qu’au sein de cette prestigieuse institution, le 9e Art ne soit pas représenté. Il m’a proposé de soumettre et de soutenir ma candidature.
 


Ce titre est une fierté ?
J.-Y.D. Cela vient à demander à d’aucun si recevoir un titre ou une décoration est une tare ou une gêne ! Je sais que le fait d’être considéré comme un «artiste» m’obligerait presque, par coutume ou idéologie imbécile, à mépriser les distinctions. Moi, j’avoue, que les décorations et autres médailles officielles flattent l’ego. Quelque par, elles sont la plus évidente reconnaissance d’un talent.



Peintre plutôt que dessinateur ?
J.-Y.D. Le peintre de Marine est un titre officiel d’origine militaire et nom une appellation libre. Il y a des peintres de Marine et des écrivains de Marine. Je ne vois pas pourquoi je devrais, parce que je ne suis aux yeux d’aucuns qu’un auteur de bande dessinée, jouer d’une stupide et déplacée modestie et demander à me faire appelé que «dessinateur». 



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La double page 14/15 de ce premier tome de « Black Crow » pourrait en tout cas très bien être encadrée comme un tableau…
J.-Y.D. Chaque planche qui compose le premier tome des aventures de Black Crow mérite un encadrement. Accepter qu’une page plutôt qu’une autre soit mise en évidence reviendrait à reconnaître que certaines sont imparfaites. Je m’applique avec le même zèle sur une double page en couleurs directes que sur une simple planche aux traits. Maintenant, il est vrai qu’une double page en couleurs directes séduira davantage qu’une simple page encombrée de bulles et de dialogues.



Comment est né ce personnage de Black Crow ?
J.-Y.D. Comme tous les auteurs, le héros à qui l’on donne vie est le résultat d’une réflexion que les lectures, les films, les voyages, les documentaires nourrissent. Une catastrophe naturelle ébranle l’actualité et certains y verront le début pour une grande fresque épique, d’autres le schéma d’une trame sociale, d’autres encore un cinglant plaidoyer contre les excès de notre société. Black Crow, c’est l’amour que je porte pour la mer et les vieux gréements. Black Crow est un aventurier et à l’image de bien des hommes, il est plus égoïste qu’humaniste, il est plus misanthrope que philanthrope. Il aime ses proches, mais le sort de l’inconnu l’indiffère parfois. La biographie de mon héros sera dévoilée album après album et le lecteur découvrira un homme torturé par son passé.
 

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Cette période, la guerre d’indépendance américaine qui opposa les Français et les Anglais, est assez méconnue. C’est aussi une motivation ?
J.-Y.D. Oseriez-vous dire à un Français que la Révolution française de 1789 est méconnue ? l’Histoire, de celle qu’y s’écrit avec une majuscule, ne se limite à des faits franco-français. Aux États-Unis, le 4 juillet est jour de fête nationale, comme le 14 juillet pour les Français. Je ne me permettrais donc pas de qualifier cette période «d’assez méconnue» ! J’ajouterai, qu’au contraire de ce que pourrait laisser penser une certaine littérature ou une certaine filmographie que la Guerre d’indépendance aux Amériques n’était pas qu’une simple opposition entre Français et Anglais, entre bons et méchants. Les Français, d’ailleurs, ne sont intervenus dans ce conflit comme allié des colonies dissidentes que bien après que le premier sang ait coulé. Pour revenir à Black Crow, je pense qu’il est souhaitable quand on se lance dans un récit dont on situe l’action à la fin du XVIIIe d’ancrer celui-ci dans une réalité historique afin de lui donner plus de crédibilité. J’ai opté pour le fait d’histoire le plus important de l’époque. Cela me semble naturel. Imaginez demain mettre en scène un récit qui se situe en France en 1941. Vous auriez bien du mal à le rendre crédible, et qu’importe son genre, si vous ne faites pas allusion à la seconde Guerre mondiale.
 


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Ce premier tome raconte une histoire complète. Les raisons de ce choix ?

J.-Y.D. Je trouve frustrantes ces fresques de bande dessinée où le lecteur ne connaîtra le mot « Fin » que dans cinq, six, douze ou trente albums. Quand vous allez au cinéma, vous êtes le premier heureux et satisfait de voir après plus de 120 minutes de projections un réel dénouement. A l’inverse, vous est vexé quand brutalement l’action s’arrête et qu’il vous faudra attendre une année, voir plus, pour connaître la suite et peut être la fin. Black Crow est une série, comme d’autres jadis, où généralement chaque album sera une aventure complète avec un début, un milieu et une fin. 



Le nom de Black Crow figure également sur la couverture de l’album «L’Hermione», mais il ne fait qu’une brève apparition en second plan…
J.-Y.D. Parce que tout simplement l’album sur l’Hermione est un «spin off» dont le thème principal est de raconter une aventure autour d’un prestigieux vaisseau historique. N’oublions pas que bien que l’album sur Hermione soit imaginaire, il est néanmoins basé sur des faits historiques. Mon personnage ne pouvait pas, pour des raisons évidentes, y avoir un rôle principal. L’apparition de Black Crow au titre de «figurant» et le fait que la préface soit signée de sa main sont le fil conducteur, le lien entre ces albums «one shot» et la série.



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Cet album sur L’Hermione vous a demandé beaucoup de travail de documentation ?
J.-Y.D. J’aime avant tout que mon imaginaire rencontre l’histoire, mais je me refuse à faire de la «reconstitution» historique. Bien sûr, afin de rendre crédibles mes décors et l’aventure, je rassemble un minimum de documentation. Il faut avouer qu’aujourd’hui, grâce à l’informatique et la multitude des médias audio-visuels, il est très aisé de rassembler de la documentation. Il n’est plus nécessaire de traverser les océans si l’on veut mettre en scène une fresque sur les Indiens d’Amazonie. Cela étant dit et à défaut de me répéter, au contraire de certains, j’ai horreur de la table lumineuse et du «copié-collé». Bien souvent, j’imagine les choses plus que je ne les copie. Et quand d’aucuns avouent que mon imagination a rencontré une certaine réalité, j’en suis d’autant plus satisfait.



Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

« Black Crow » de Jean-Yves Delitte, Glénat.

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